Chronique d'une lâcheté ordinaire
« L’Image d’Ilse venait se superposer à mes souvenirs flottants, à ces silhouettes voilées courbées sur les lits de douleur, ces visages d’anges de miséricorde aux cheveux tirés sous le tissu qui laissait échapper des mèches mutines.»
« Monsieur le Commandant » est issue de la collection Les Affranchis qui publie une série de livres au concept assez simple : "Écrivez la lettre que vous n'avez jamais écrite."
Romain Slocombe s'est prêté au jeu en se mettant dans la peau d'un académicien rédigeant une longue lettre de dénonciation qui vise sa propre belle fille et qu'il adresse à la kreiskommandantur en 1942.
Ce livre, mêlant fiction et réalité, fait coexister les sentiments amoureux les plus nobles et les convictions idéologiques les plus abjects. Si les personnages et les lieux où se déroulent les faits, sont purement fictifs, certains passages reprennent des extraits de lettres réellement rédigées et découvertes lors de l'ouverture des archives soviétiques dans les années 90.
Même si l'auteur s'en défend, on est saisi dans les premiers chapitres par l'écho très troublant des slogans et articles de presse de l'entre deux-guerres et certaines thèses défendues aujourd'hui.
L'immigré espagnol, italien, roumain et plus particulièrement encore juif sont désignés comme responsable non seulement des difficultés économiques, mais également du lent déclin moral et politique du pays.
Au déshonneur d'une idéologie raciste s'ajoutera la honte d'un crime d'Etat.
Paul Jean Husson, écrivain et académicien, est un héros de la première guerre mondiale. Viscéralement antisémite, il adhère dès les années 30 à l'idéologie nazi.
Peu avant la guerre son fils se marie avec une allemande, Elsie Berger. Il en tombera follement amoureux.
Après la débâcle de juin 40, s'est tout naturellement qu'il devient pétainiste tandis que son fils s'engage pour la résistance et part rejoindre De Gaulle à Londres, laissant sa femme et sa fille avec son père.
Après une enquête qu'il a lui même demandé au « Bureau des questions juives », il découvre que sa belle fille est en réalité juive, vivant en France sous un faux nom. Il ne cessera pourtant pas de la protéger, allant jusqu'à acheter le silence des autorités.
Paul Jean Husson adhére au "Mouvement Social Révolutionnaire", un groupuscule fasciste (MSR, « Aimes et sers » !). Pour lui, Pétain est le sauveur, le Christ même, le seul capable de remettre la France droite dans ses bottes et surtout, de la débarrasser de la « vermine juive ».
Afin ne pas éveiller les soupçons au sujet de sa belle fille, il redouble de zèle en dénoncant un jardinier et publie des pamphlets antisémite d'une violence hallucinante, regrettant que les mesures coercitives allemandes n'aient pas d'équivalents français et louant les camps de concentration « destinés à sauver les juifs ».
Mais ce livre est aussi l'histoire d'un homme un jour confronté à la réalité de l'idéologie qu'il défend.
Il va découvrir que les miliciens auxquels il a à faire ne sont pour la plupart que des anciens criminels de droits communs, habitués de l'univers carcéral, pour lesquels tout se monnaye, y compris la trahison au Chef Suprême, la guerre n'étant pour eux qu'une belle opportunité pécunière.
Alors, lorsque Paul Jean Husson assiste à la mise à mort de son propre fils, on se met à espérer un ultime sursaut d'humanité pour sauver son honneur, à défaut d'avoir pu sauver sa progéniture.
Il n'en sera rien. Il ira jusqu'au bout de la folie. Un peu comme ces êtres sous l'emprise d'une secte, pour qui plus rien n'a vraiment de sens, mais dont la capacité de réactions est depuis longtemps déjà totalement annihilée.
Romain Slocombe nous livre ici un récit puissant, dans le style académique de l'époque, un peu désuet, mais magnifiquement écrit.
Un coup de cœur.
Âmes sensibles, ne vous abstenez pas.
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