Plus qu'un bilan de la jeunesse française au début des années 10, Notre Jeunesse se révèle un bilan de 10 ans d'affaire Dreyfus, un texte au cours duquel Charles Péguy nous répète (et rabâche) l'importance de la mystique (idéologique et religieuse), trop souvent "pervertie" par la politique. Il met donc en opposition ce qu'il appelle "temporel" et "éternel". Les partis politiques, les antidreyfusards et le clergé sont reprochés par Péguy d'oublier l'idée de salut éternel au profit d'un salut temporel, anti-révolutionnaire et mû par un désir de conservation des richesses. On se rend donc compte qu'en filigrane, Péguy tente une réhabilitation du parti socialiste dans ses valeurs, injustement taxées d'anti-nationalistes et anti-chrétiennes, alors que sa conception même, de par sa "mystique" est profondément française, spirituelle, chrétienne, car elle se propose une mise en ordre des différentes strates de la société en partant de l'ouvrier pour remonter vers la classe bourgeoise. Un assainissement de la société par un retour à la mystique des concepts (idéologiques, religieux et nationalistes) plutôt qu'à des compromissions politiques.
L'essai est tout de même bien plus complexe que cela, je lui reprocherai seulement ses éclats stylistiques qui alourdissent parfois la lecture (notamment par les multiples répétitions et enchaînements d'hyperlatifs pour donner un souffle épique au texte) ainsi que son manque d'anecdotes et d'éléments concrets, qui font que l'on se retrouve parfois à mi-chemin entre le bilan historique pragmatique et l'exercice de style idéologique.
Une lecture tout de même intéressante pour essayer de comprendre les différents courants de pensée qui ont pu s'entrechoquer au sein des milieux intellectuels français au sortir du XIXe siècle et à l'entrée de la première Guerre mondiale.