De Turin à Bari, le road trip barré de trois jeunes adultes (un gars, deux filles) poursuivis par « un DJ qui fait des appels de phare ». Le roman, dont le titre original se traduit par « Routes blanches », est signé d'un auteur prolixe et reconnu en Italie, lauréat de nombreux prix littéraires. En le découvrant on comprend pourquoi : d'une ligne à l'autre, Remmert s'improvise tour à tour comique, poète, tragédien, sans jamais donner l'impression de s'éparpiller. Il raconte un voyage au sens le plus strict du terme, avec son point de départ, son point d'arrivée et, entre les deux, suffisemment de substance pour faire grandir ses personnages. Contrairement à ce qu'on pourrait penser vu le thème et les origines latines du bouquin, on n'est pas dans une logique de « feel good story » : chez Remmert, on est adulte dès le départ, fiché de plaies béantes qui impriment une couleur très solennelle aux premiers tours de roue (violence conjugale, crises d'angoisses, fantômes de l'enfance). Ce n'est que petit à petit que le récit va se dénouer, que la tension va s'apaiser, que chacun des membres du trio va évoluer.
Le rythme, soutenu, est très bien étudié, fonctionnant sur une alternance de voix merveilleusement bien sentie. Il y a les sections racontées par Vittorio, violoncelliste de son état, apeurées et mélancoliques ; celles racontées par Francesca, plus posée, qui remet le récit en place ; enfin la voix de Manu, à qui Remmert fait enfiler des phrases longues et belles comme du Ferrari en grande forme, jouant avec virtuosité de son petit coeur brisé qui s'accroche à la vie. On rit parfois, certaines situations sont très drôles, amenées avec un naturel et une sincérité qui laissent désarmé ; on est bouchée bée devant cet infini talent dont est pourvu l'auteur d'écrire sur la joie, sur un bonheur communicatif, puis d'embrayer sur la tristesse, parfois lancinante voire désespérée (toujours avec beaucoup de classe) pour passer de nouveau, et sans prévenir, à la lumière du soleil. Une boule de neige lancée en plein visage, une blague innocente, un art de la transition entre le jour et la nuit si finement maîtrisé qu'il faut parfois s'accrocher pour ne pas être emporté trop violemment.
Emaillé de rencontres à la charge symbolique puissante sans être lourde, porté par une succession d'événements cocasses ou sinistres, le récit se dévore d'une traite, joue avec les émotions du lecteur avec une aisance implacable. Le moindre élément, la plus petite ligne de dialogue, l'usage parfait du cadre italien, de ces collines recouvertes de neige et pourtant si chaleureuses, l'intelligence de l'exploitation de l'espace même de la voiture, cette "Baronne" qui accompagne le trio : tout renvoie à un plaisir de lecture à la fois primaire et raffiné. La forme (superbe, toujours accessible) et le fond (parfois vertigneux derrière sa simplicité de façade) s'épaulent l'un et l'autre pour tisser une histoire belle, drôle, ponctuellement affreuse ou déchirante. Le vrai problème sera d'accepter cette gymnastique de l'ombre et de la lumière, cette ambivalence parfois insoutenable entre la tristesse d'un paysage enneigé et la beauté du reflet du soleil sur ces étendues blanches. Jusqu'aux tout derniers instants, Remmert en jouera à la perfection, laissant son lecteur à la fois vidé, conquis, frustré, abattu, propulsé aussi par l'énergie magnifique de ces personnages qui tombent et se relèvent, rongés par l'horreur du passé et déterminés à se battre pour un futur qui ait un sens : "Vittorio, je comprends ta souffrance, je l'ai toujours comprise. Mais la souffrance ne donne aucun privilège, tout dépend de ce qu'on fait de cette souffrance."
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