La rencontre amoureuse, qui plus est entre deux êtres aussi dissemblables que possible : le sujet est éternel et inépuisable, s'il est soumis à une plume alerte et, assurément, celle de Serge Joncour l'est. Les deux protagonistes principaux de Repose-toi sur moi, si l'on se contente d'une présentation sommaire, pourraient être aisément qualifiés de "clichés" : lui, Ludovic, colosse de 1 mètre 95 au coeur d'argile, viril mais correct, comme on dit au rugby, ancien agriculteur reconverti dans le recouvrement de dettes, drôle de profession, soit dit en passant ; elle, Aurore, mariée, deux enfants, styliste de mode et créatrice d'entreprise, superwoman qui commence à se poser des questions sur le sens de sa vie. Aucune chance qu'ils se côtoient, ces deux-là, et encore moins qu'ils ne tombent amoureux l'un de l'autre. Sauf que nous sommes dans un univers romanesque et que Serge Joncour a décidé du contraire. Belle idée au passage que celle de cet immeuble où nos deux héros habitent, l'une dans sa partie cossue, l'autre dans une aile plus délabrée. Mais ce dernier a l'avantage d'avoir vue sur l'appartement de la première, ce qui va jouer un rôle essentiel dans la progression du livre. La référence hitchcockienne n'a échappé à personne : c'est Fenêtre sur Joncour ! En dépit de quelques répétitions et atermoiements, notamment sur la fin, Repose-toi sur moi est admirablement construit, ménageant de l'espace pour son couple en formation, en parallèle ou ensemble, selon les chapitres. Le roman est fondé sur les oppositions : de modes de vie et d'environnement, entre Paris et le monde rural, au sein même de l'immeuble. Serge Joncour parle d'Aurore et de Ludovic comme s'ils étaient de ses proches, avec une infinie tendresse mais aussi en révélant leurs failles -elle est souvent naïve, il est parfois violent- et leurs manques, la solitude de l'un faisant écho à l'isolement de l'autre, sachant qu'ils avancent masqués, au moins dans leur vie sociale, en se voulant plus forts qu'ils ne sont en réalité. L'auteur nous parle de leurs contradictions et de leurs peurs, celle de s'engager et de se remettre en question, celle de préférer un cocon moelleux à l'incertitude de l'aventure, fût-elle enivrante. Dans ce couple que leur environnement trouvera mal assorti, la question de qui soutient l'autre se pose et la réponse aussi évidente qu'elle paraisse est joliment prise en défaut par Joncour dans les dernières pages du livre. Repose-toi sur moi montre en tous cas qu'une littérature des sentiments n'est pas nécessairement mièvre quand elle est nourrie par une écriture fluide, un arrière-plan social très solide et un sens de l'ironie et de l'observation fortement aiguisé.