L’une de mes premières découvertes faite grâce aux éditions de La Peuplade fût un texte de Larry Tremblay, L’oeil soldat ( chronique ici). Ce texte poétique m’avait laissé une forte impression. Je me suis donc plongée avec joie dans son nouveau texte. Tableau final de l’amour est un roman inspiré de la vie de Francis Bacon. Un texte puissant.
Larry Tremblay fait parler Bacon dans ce roman intense. Il s’adresse à son amant, un homme qui lui a servi de modèle et avec qui il entretient une relation tumultueuse. Sa liaison le fait se questionner sur son art et se remémorer les étapes de son parcours. Le peintre nous raconte ses désillusions et ses moments de grâce tant amoureuses qu’artistiques.
Te peindre, c’était aussi plonger mes doigts dans le gris de mon cerveau, étaler ma main gluante sur le toile consentante, toile junkie en manque de visage, guettant sa perfusion de couleurs.
Bacon est pétri de complexes et de névroses. Il est hanté par la figure de son père tyrannique et qui ne l’a jamais accepté. Homosexuel à une époque où cela est encore très tabou, il vit sa sexualité avec la même intensité que son art. Son amant, à qui il adresse ce texte, est un être imprévisible et violent. Obnubilé par son corps, il ne cesse de le chercher physiquement et artistiquement. Lui, l’artiste riche et reconnu s’entiche d’un délinquant drogué et violent et devient dépendant de cette relation. De leur liaison naît une force créatrice et destructrice qui lui fait produire des œuvres habitées et percutantes.
Pour moi, il n’y a toujours eu qu’une seule chose à peindre : le corps et son cri. Et si la sainteté et le tragique avaient la chance de se marier, c’était assurément au sein de la figure humaine. L’art abstrait l’avait évincée de la toile, remplacée par des paysages de points, de lignes, de taches, l’avait déconstruite pour signifier l’insignifiance de toute vérité humaine, voire son inexistence absolue. Il n’y avait que du vent dans cet art aseptisé.
Sa relation amoureuse tumultueuse est aussi l’occasion de revenir sur son enfance. Derrière le père violent, le viol qu’il a subi ou encore ses premières années de misère à Paris, se brosse le portrait d’un homme traversé par des blessures à vif. Malgré la reconnaissance dont son art jouit et sa fortune, il reste un homme fragile et en proie à des démons tenaces. Face à l’homme qui le fascine, il redevient petit garçon. C’est sur la toile qu’il exorcise cette passion débordante.
Les errances artistiques du narrateur sont passionnantes. Bacon est un peintre qui met ses tripes sur la toile. Il détruit tout ce qu’il trouve de mauvais et a besoin d’être dans un certain état de tension pour créer. Reconnu et apprécié, il vend beaucoup et est appelé à exposer partout. Cela ne le rend pas exempt de doute et d’incertitude quant à son art. C’est la chair même de ses modèles, et notamment de son amant, qu’il souhaite mettre sur la toile.
Le style de Larry Tremblay est poétique et ciselé. Il parle de violence et de sexualité de manière directe. Les mots sont choisis et touchent directement le lecteur. J’ai été emportée par cette biographique faite de chair et de sang. L’auteur nous propose un portrait vibrant d’un homme habité et sulfureux.
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