En 1963, Francis Bacon rencontre George Dyer. En 1971, Dyer se suicide dans une chambre d’hôtel tandis que Bacon fait l’objet d’une rétrospective historique organisée en grande pompe au Grand palais. Parmi les 108 tableaux de la rétrospective, plusieurs dizaines représentent Dyer et témoignent de la relation tumultueuse établie entre le peintre et cet homme aux allures de voyou si séduisantes.
C’est cette relation que retrace Larry Tremblay dans Tableau final de l’amour, un roman qui se lit d’un coup, cul sec, qui a un sens du timing certain et un beau phrasé, qui nous mène exactement où il veut nous mener - vers le drame, une émotion forte, ce sentiment de gâchis final qui étreint. Sous cet angle, c’est indéniablement une réussite, dans la mesure où les moyens mis en oeuvre sont parfaitement maîtrisés tout en gardant un petit air canaille séduisant - la façon dont tout le texte est adressé, à la deuxième personne, à Dyer n’y est pas étranger.
Pourquoi, alors, l’ai-je lu de bout au bout avec un genre de soupçon tenace, d’impression que je devais me méfier de ce qu’on voulait me faire avaler ? C’est d’abord probablement un peu de ma faute : j’ai eu du mal à lâcher prise, trop préoccupé de savoir où s’arrêtait la matière biographique et où commençaient les libertés prises par Larry Tremblay - mais Bacon m’intéresse beaucoup, depuis longtemps, et je n’ai pas pu m’en empêcher… Sans doute est-ce dû aussi à la présence récurrente de quelques poncifs un peu réducteurs - sur la violence charnelle de l’art de Bacon, sur le rapport au père surtout - qui m’ont sorti de temps en temps de ma lecture, et surtout à la tendance de Larry Tremblay à braquer tous les projecteurs sur ce que l’histoire a de plus romanesque voire de plus spectaculaire.
Cette tendance se manifeste dès la première scène qui, pour la rencontre entre Bacon et Dyer, opte pour la version mythique du cambriolage de l'atelier de Bacon par Dyer, et écarte la réalité trop banale qu'est la simple rencontre dans un bar. Tout au long du récit, Tremblay semble vouloir à tout prix démontrer une certaine radicalité - par la crudité de certaines scènes, par son insistance sur certains aspects du rapport au corps du peintre - comme pour tenter d'être à la hauteur du choc qu'est l'œuvre de Bacon. Mais Tableau final de l'amour ne m'a semblé au final entretenir que de lointains rapports avec la puissance figurative des corps disloqués de ses toiles, pour lesquelles il offre une grille de lecture un peu trop étriquée, à trop vouloir réduire la psychologie de Bacon et Dyer à quelques traits saillants comme le ferait un biopic bien scénarise.