Insolite rencontre dans le Transsibérien entre une Française fuyant son mari et un appelé désertant.
D'abord objet d'une fiction radiophonique en 2010, réalisée à l'occasion du voyage en Sibérie de plusieurs écrivains, parrainé par France Culture dans le cadre de l'année France-Russie, "Tangente vers l'Est" est la réécriture (significative) de cette expérience romanesque.
Une Française mariée à un Russe, à Krasnoïarsk, le quitte sur un coup de tête et monte dans le Transsibérien en direction de Vladivostok. Durant ces quelques jours de voyage, elle va héberger et dissimuler dans son compartiment un jeune conscrit déserteur qui ne veut plus rejoindre son unité... Récit ferroviaire, récit de l'impulsion, récit des complicités spontanées, mais aussi récit de l'incommunicabilité entre êtres qui ne parlent pas de langue commune, et pour lesquels les malentendus peuvent rapidement fleurir... Les quelques pages où la jeune femme passe en revue les raisons de son brutal départ sont aussi de toute beauté.
"Elle a soif. Ils ont trop fumé cette nuit. Elle prend son verre et sort pour aller chercher de l'eau chaude au samovar, bijou d'hydrologie situé au bout du couloir, face à la loge de la provodnitsa - c'est dans ce wagon une petite femme brune et mate, aux bras ronds, aux lèvres peintes de rouge à lèvres fuchsia, pimpante dès le petit matin. Hélène la salue, saisit un sachet de thé, verse de l'eau chaude dans son verre, les deux femmes se sourient, puis Hélène lui indique le paysage mouvementé, et pour parler un peu, lui demande s'il y a des ours ici : medved ? medved ? L'hôtesse marque la surprise, puis s'anime, da, da, bien sûr qu'il y en a, fait demi-tour, rentre dans sa cabine, en ressort enjouée munie d'un appareil photo numérique, et bientôt des images défilent sur l'écran minuscule, des paysages qu'elle fait voir à Hélène, la forêt sibérienne, conifères sombres aux troncs roux, épicéas, trembles, une folie de mélèzes, les montagnes, les mêmes villages créés par le rail, et soudain la silhouette d'un ours au bord d'un cours d'eau, il est là, sous de fins peupliers clairs, grosse peluche marron à quatre pattes, l'air bigleux des lourds mammifères, toujours là sur la photo suivante mais dressé sur ses pattes arrière, et terrible à présent, le rose pâle et humide de la gueule capté dans l'objectif, les petits yeux noirs rapprochés, durs, du mica, et c'est encore le même animal de dos sur une troisième image, à demi enfouie dans les ronciers, dans la nature."