Un épisode de la vie de Flaubert : comme si vous y étiez !

A cinquante-trois ans, Flaubert est en 1875 en pleine crise existentielle : anéanti par les difficultés financières, dévasté par la perspective de devoir vendre sa chère maison en Normandie, il ne trouve même plus la consolation auprès de ses pairs et proches, dont beaucoup ont déjà quitté ce monde. Il décide de fuir ce présent insupportable en se rendant à Concarneau, auprès de son ami le naturaliste Pouchet : il va y passer la parenthèse d’un automne, à ne penser qu’à manger et dormir, à se baigner et respirer l’odeur de sardine qui monte du port jusqu’à la fenêtre de sa petite pension, et à observer les travaux de dissection de sa scientifique relation. Saura-t-il retrouver la force et le goût d’écrire encore une ligne ?


Comme le homard dont il observe la mue dans les aquariums du Docteur Pouchet, Flaubert se retrouve en suspension entre deux périodes de sa vie, moment d’angoisse et de vulnérabilité, où l’écrivain, comme à nu et écorché, se retranche dans cette petite ville fortifiée de Bretagne, le temps de retrouver les ressources nécessaires à la poursuite de son existence. Pendant cette période de flottement et d’attente, l’on découvre un homme sensible et mélancolique, ennemi de la médiocrité et désemparé de se voir tiré de son univers littéraire par des contingences matérielles, souffrant d’avoir perdu l’inspiration mais néanmoins bonhomme et bon vivant : un portrait tout en nuances et saisissant de vie, dans un style élégant qui incorpore très naturellement les mille détails fournis ou suggérés par la correspondance de l’écrivain.


L’on y assiste aux affres de la création et de l’écriture, au long travail de maturation qui fait soudain couler l’idée, au travail d’orfèvre de l’auteur qui cisèle son texte, le tout reconstitué à partir des avants-textes et des manuscrits de La Légende de Saint Julien l’Hospitalier, l’un des Trois Contes que Flaubert publiera deux ans plus tard, peu avant la fin de sa vie.


Admirablement documenté et réussissant à redonner vie avec simplicité et naturel à l’homme qu’était le grand écrivain, ce texte très abouti fait aussi vivre de l’intérieur le processus créatif et la lente gestation d’une œuvre devenue intemporelle.


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Cannetille
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le 10 mai 2020

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