Lena et Ivan sont deux adolescents amoureux. Il vivent à Prypiat, non loin de la centrale de Tchernobyl. En 1986 la centrale explose et ils sont brutalement séparés. Lena, fille d'un ingénieur, fuit en France avec sa famille. Son père fait partie des rares personnes qui savent l'ampleur de la catastrophe et partent mettre leur famille à l'abri. Ivan, quant à lui, reste dans la zone. Son père est agriculteur ici, il ne se voit pas quitter sa terre. Les deux adolescents grandissent et affrontent le monde d'après Tchernobyl mais sans jamais vraiment s'oublier l'un l'autre. Vingt ans après Lena fait le chemin inverse et retourne dans la zone irradiée pour retrouver son passé et chercher les traces d'Ivan.
Ce qui est intéressant avec ce livre, c'est qu'il montre deux situations très différentes qu'ont dû affronter les victimes de la catastrophe. Lena fait partie des privilégiés puisqu'elle a pu se rendre en France, se protéger des radiations. Néanmoins, elle traîne une forme de honte, de secret. C'est parents lui imposent le silence sur ses origines et lui ordonnent d'aller de l'avant car le nom de Tchernobyl fait peur. Ils tirent un trait sur l'Ukraine et attendent de leur fille qu'elle en fasse autant. Léna a en elle une mélancolie, une douleur qu'elle n'arrive pas à effacer. Malgré la tentative de se reconstruire une nouvelle vie, elle reste hantée par son passé. Le besoin de savoir ce qui reste de sa ville natale se fait criant. Sa grand-mère lui raconte les contes d'Ukraine et tente de préserver un lien avec son pays natal. Elle est son lien avec son passé et leur relation est extrêmement belle. La littérature, les histoires servent de pansements sur les blessures invisibles. Comment devenir adulte quand on doit taire son enfance ? Où trouver sa place ? Alors Léna étudie l'histoire et cherche dans les ruines des réponses à ses questions. L'autrice nous raconte l'exil d'une manière vibrante. Nous sommes au plus proche de Léna et sentons se manque qui la mine. C'est poignant.
Il y a des images qu'on garde à l'abri, dans le creux de nos cicatrices. Elles possèdent le goût de la glaise fraîchement retournée et le bruit de la pelle qui heurte des cailloux.
Ivan lui aussi est arraché à sa terre natale pour être parqué avec d'autres réfugiés dans des cités construites à la hâte pour les accueillir. Paysan proche de la terre, ils se retrouvent enfermer dans le béton et la promiscuité. Alors l'alcool se met à couler à flot pour tromper le désœuvrement. Certains retournent dans la zone car leur vie était là-bas. On a des nouvelles de lui par les lettres qu'il envoie à Lena et qui n'arriveront jamais. Lettre après lettre, on sent grandir son découragement, son amertume. Ses mots sont déchirants et révoltants, il y eu tant d'injustices et de drames dans la gestion de cette crise.
Le roman est parsemé de références à l'Antiquité. Quand Léna revient vingt ans plus tard à Prypiat elle fait le parallèle avec Pompéi. Deux villes martyres, deux villes figées dans le temps et désormais devenues attractions touristiques. Ces références donnent une dimension universelle à l'histoire. On ne peut alors s’empêcher de penser aux prochaines villes détruites par d'autres catastrophes nucléaires ou écologiques. L'autrice décrit aussi très subtilement la nature qui devient un refuge, un apaisement nécessaire.
Si l'histoire m'a touchée, je n'ai pas été emballée par le style parfois trop lyrique pour moi. Mais l'autrice a un grand talent de narratrice et nous offre deux personnages tellement vivants. Une proximité se crée très vite avec eux et nous fait nous attacher à eux. Elle raconte avec justesse le destin particulier de gens qui ont tout perdu à cause . de la catastrophe pour nous rappeler, que derrière les chiffres et les faits, il y a des vies humaines.
Une belle découverte et une autrice que je vais suivre.