Premier roman d'une jeune autrice de 24 ans, ce livre laisse mitigé. Il n'est pas tout à fait à la hauteur de ses (louables) ambitions. Le sujet est incontestablement fort et important : l'apprentissage de la féminité et du désir par une adolescente au Maroc et l'apprivoisement du corps. Quand même ! Cependant, dans le traitement et l'écriture, quelque chose ne va pas. La structure circulaire ne convainc pas spécialement, la narration à la deuxième personne non plus ; les chapitres alternent au début entre passé et présent mais on s'y perd en cours de route et je me demande si l'autrice ne s'y est pas perdue aussi. Le style simple, les phrases brèves et directes correspondent bien au sujet mais manquent de force, on n'est pas retenu, accroché. Salma El Moumni est sans aucun doute une écrivaine : à partir d'une situation simple (une jeune femme fuit le Maroc à cause de photos nues d'elle volées et publiées sur Instagram), elle tire les fils et ouvre des pistes très intéressantes : l'apprentissage du corps par le regard des autres, l'adolescence, le post-colonialisme. En 160 pages, il y a de quoi faire ! Malheureusement, elle ne va pas jusqu'au bout et effleure son sujet. Elle délaisse ces thématiques pour se concentrer sur la figure du père, c'est dommage.

D'une certaine manière, ce corps n'était plus à toi, ce n'était plus toi, c'était eux, leurs mains leurs yeux leurs bouches leurs mots. Sans ces photos, il n'y avait plus qu'eux, et cette pensée t'était devenue insupportable. (38)

La première moitié du livre est assez juste sur le désir naissant et les amours adolescentes, mais souffre de la comparaison avec Le Goût des Garçons de Joy Majdalani (2022), autre premier roman sur le sujet, ou les romans de Nicolas Mathieu. C'est sur le corps qu'elle écrit ses plus belles pages : le corps des femmes dont on les dépossède tout en leur assignant, le corps qu'elles ne reconnaissent qu'à travers le regard des autres (hommes), ce fameux male gaze, ce corps qu'Alia, le personnage, dissocie de son être et tente de se réapproprier en le photographiant nu.

Saluons l'ambition et mettons cette autrice dans un coin de notre tête pour les prochaines années. Elle réussit parfaitement à décrire la soumission horrible des femmes et de leur corps à la société patriarcale, et rien que pour ça, tout le monde devrait lire ce livre.

antoinegrivel
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le 6 nov. 2023

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Antoine Grivel

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