Alamut est définitivement une oeuvre sur l'illusion.
Il nous présente d'abord un monde naïf, dont le seigneur est soigneusement dissimulé dans l'ombre de sa tour et semble coupé du monde. Les personnages, comme nous, sont parfaitement crédules : ils croient en la sincérité de leur religion, de leurs sentiments et de leur entourage, comme nous croyons lire un énième récit d'aventure oriental, vaguement historique, un nouveau Salaambô.
Puis les apparences commencent à se fissurer quand le fascinant Hassan Sabbah, le maître d'Alamut, fait son apparition. Nous nous rendons alors compte que la forteresse n'est qu'une machination, un décor au service d'un homme qui a compris qu'aucun réel mystère n'existe derrière les paraboles religieuses, que tout est vide et que Dieu ne se montrera jamais. C'est sa malédiction mais également sa plus grande force : comme il sait, il va pouvoir dissimuler le néant et rendre le paradis réel (le sens des "paradis artificiels" trouve ici sa plénitude) aux yeux de ses marionnettes, qui perdront alors toute peur et seront prêtes à mourir pour lui.
Le livre est lui-même une illusion de naïveté, écrit dans un style assez kitch pour passer la censure et délivrer son discours éminemment politique sur le contrôle des masses, la force de la propagande et de la manipulation. Le despote n'est pas un monstre, c'est un humain qui a percé à jour ses propres illusions.