Dans la brève préface apposée à Alexis…, M. Yourcenar dit avoir choisi une “troisième voie” stylistique, un milieu entre l'obscénité et la pudeur excessive, en ayant adopté un style qu'elle qualifie de “décanté”, évoquant aussi les parallèles du style français du XVIIIe. Ce sont à mon avis des clefs de lecture assez utiles pour son œuvre dans son ensemble : il y a chez Yourcenar une recherche perpétuelle du style juste, qui va de pair avec une vision également juste de l'homme (deux préoccupations qui rappellent les La Bruyère ou La Rochefoucauld), d'une part, et d'une modération perpétuelle d'autre part.
Osons le dire : je n'ai pas été excessivement convaincu. À force de se mouvoir dans un air raréfié, d'aligner les phrases modérées, les jugements de bon goût sur la vie, le livre finit rapidement par ronronner dans l'indifférence polie du lecteur. Par ailleurs, la pudibonderie (que l'auteur souhaitait éviter) n'est jamais loin pour le lecteur moderne, qui trouve, pour citer Céline, “que 300 pages pour nous faire comprendre que Tutur encule Tatave, c'est trop”. Reste une certaine curiosité de l'anachronisme.
Une citation (parce que malgré tout, les phrases prises une par une sont très belles) : “Je suis fatigué de cet être médiocre, sans avenir, sans confiance en l’avenir, de cet être que je suis bien forcé d’appeler Moi, puisque je ne puis m’en séparer. Il m’obsède de ses tristesses, de ses peines ; je le vois souffrir, – et je ne suis même pas capable de le consoler. Je suis certes meilleur que lui ; je puis parler de lui comme je ferais d’un étranger ; je ne comprends pas quelles raisons m’en font le prisonnier. Et le plus terrible peut-être, c’est que les autres ne connaîtront de moi que ce personnage en lutte avec la vie. Ce n’est même pas la peine de souhaiter qu’il meure, puisque, lorsqu’il mourra, je mourrai avec lui.”