Évoquer l’ambition de cet essai paraîtra superflu, car l’auteur lui-même le fait dans son introduction : « Il ne vise pas à une complète rigueur scientifique ou philosophique, mais à poser les “bonnes” questions afin de reconnecter la philosophie sociale et la sociologie aux expériences sociales vécues par les gens dans les sociétés modernes tardives. » (p. 7). D’une façon générale, Aliénation et Accélération vise à la clarté, et se détache donc d’un certain nombre d’ouvrages de sciences sociales, qui, tout stimulants et critiques qu’ils soient, tournent parfois à la masturbation intellectuelle et conceptuelle.
Le titre en dit déjà beaucoup. Le texte lui-même unifie et organise un certain nombre d’observations, de remarques ou de critiques qu’un non-sociologue aurait pu formuler : l’idée que « la société moderne n’est pas régulée et coordonnée par des règles normatives explicites, mais par la force normative silencieuse de normes temporelles » (I.5, p. 57), le fait que « ceux qui souffrent de la non-reconnaissance dans le jeu de la vitesse ressentent rarement qu’ils sont en train de souffrir d’une injustice » (II.8, p. 79) ou encore cette réalité à laquelle on échappe difficilement, et qui se trouve au cœur de la notion de croissance économique : « Puisque la “digestion” demande trop de temps et que nous ressentons un besoin impérieux et croissant de rattraper le retard temporel, nous compensons de plus en plus la consommation irréalisée à travers le shopping. C’est bon pour l’économie, mais c’est mauvais pour la vie bonne » (III.14.c, p. 126-127).
On l’aura compris, Hartmut Rosa est plus près de l’École de Francfort que du néo-libéralisme. Ce qui n’enlève rien à la pertinence de certaines observations moins sociologiques que psychologiques, qui dirigent son essai (voir le chapitre sur la perception temporelle).