Ce livre est sublime. Arrêtez tout et foncez l’acheter chez votre libraire. Rien de ce que je pourrais en dire ne rendra justice à sa beauté.
Si vous ne me croyez pas et que vous continuez votre lecture de cette modeste critique, sachez qu’Alors c’est bien s’inscrit dans le genre désormais bien balisé de la littérature de deuil. C’est un genre que j’affectionne beaucoup (Olivia de Lamberterie, Clara Dupond-Monot, Justine Augier, Vassilis Alexakis…), mais j’abordais ce livre avec méfiance : ne connaissant aucun des deux protagonistes – ni l’écrivaine, Clémentine Mélois, ni son père, le sculpteur Bernard Mélois – je me disais que ça ne fonctionnerait pas. Et pourtant. Alors c’est bien est un livre pudique et joyeux, animé par une passion solaire. C’est l’histoire d’une famille heureuse – et ce n’est pas un oxymore, contrairement à ce que l’on a pu dire –, une famille d’artistes, fantasque, éclairée, où l’on n’hésite pas à parler de l’essentiel : la mort. Bernard Mélois sent sa fin proche, alors il se prépare et sa famille le suit. Il veut un enterrement de pharaon, avec un cercueil peint en bleu et une croix émaillée, alors sa femme et ses filles négocient avec les pompes funèbres et contactent Bretagne Émaillage. Dit comme ça, c’est plat et nul ; l’écriture de Clémentine Mélois, toute en retenue, par petites touches, montre la beauté du trivial et fait surgir la poésie au détour d’une phrase en jouant sur des effets de registre et de chute très maîtrisés.
Dans son obstination totale et sympathique à ne faire que ce qu’il voulait, il me faisait penser à cette vidéo trouvée sur internet : une soigneuse tente de nettoyer un enclos tandis que d’irrésistibles bébés pandas lui volent son râteau, s’accrochent à ses jambes, renversent son panier de feuilles et s’y plongent pour faire des roulés-boulés. Je ris encore en la regardant, et je pense à mon père, ce bébé panda au sourire si doux. (p. 73)
Ce livre rend profondément heureux et c’en est à la fois paradoxal et presque indécent. Clémentine Mélois remonte tout doucement le fil des derniers mois, jours, instants, faisant de l’ordinaire de la vie un petit bout de littérature. Les pages sur la sculpture et la Bretagne sont très réussies, et l’enterrement est un morceau d’anthologie. Ce que j’ai préféré, je crois, ce sont les pages sur la musique. Bernard Mélois avait acheté sa concession il y a longtemps dans un petit cimetière, avec des amis. L’autrice écrit :
Papa avait investi les lieux bien avant d’y séjourner. Il y a sept ans, il a installé un carillon de sa fabrication sur le muret qui monte au cimetière. C’est une rampe musicale faite d’un alignement de tubes en alu de différentes hauteurs, et je me demande encore comment il a réussi à la concevoir en chantant aussi faux. En faisant glisser un cylindre de bois le long de la rampe, on active un marteau qui vient frapper un à un les tubes. Chacun sonne avec une note différente. Résonnent alors les premières notes du Dies irae, le chant des morts des cérémonies d’enterrement […] Pour mon père, c’était un hommage aux amis enterrés là, à ceux qui leur survivent et à ceux qui un jour ou l’autre les rejoindront. / Aujourd’hui, quand je monte au cimetière pour lui rendre visite, j’actionne la rampe musicale – Dies irae, dies illa – et je me dis qu’il m’entend arriver. (p. 24-25)
Pour la dernière chanson de l’enterrement, la mère a choisi Mon amie la rose de Françoise Hardy, et le cercueil bleu se recouvre de pétales de rose. Vous avez envie de pleurer, vous vous retenez, vous êtes achevé par les deux dernières pages qui relatent la dernière conversation de l’autrice avec son père et expliquent le titre. Alors c’est bien est un livre sur la mort d’une beauté rayonnante, dont on sort partagé entre une envie irrésistible de pleurer de joie, et une pulsion de vie et de bonheur. Vous refermez le livre et un dilemme cornélien s’impose : vaut-il mieux le relire immédiatement, ou convaincre le monde entier de le lire ?