Au fond, avant de commencer Anéantir, il faudrait ne rien avoir lu de Houellebecq auparavant et partir à l'abordage sans préjugés, vierge de tout sentiment sur l'auteur. Mais en même temps, ce livre plutôt "soft" n'existerait pas sans ses antécédents littéraires et, plus largement, l'image qu'il renvoie, plutôt "hard." Anéantir a beau être un roman plus apaisé et moins radical que ses prédécesseurs, il n'en restera pas moins familier, par certaines obsessions très personnelles, à ses lecteurs fidèles. Ce que l'on retient au fil de la lecture, c'est l'incroyable richesse narrative du roman, qui commence comme un thriller et se termine sur des notes philosophiques. Certes, il y est question d'attentats mystérieux et d'une campagne électorale se déroulant en 2027, et les deux sujets sont passionnants pendant une grosse moitié du livre, mais ensuite, Houellebecq les laisse carrément tomber et finit par recentrer son propos autour de son personnage principal, Paul, et accessoirement sur les membres de sa famille. Le héros, un peu mou et passif, conseiller spécial du Ministre de l’Économie, a pour principale qualité la lucidité mais c'est un peu normal puisque c'est Houellebecq qui s'exprime à travers lui. Les portraits de chacun des protagonistes, y compris ceux qui n'ont qu'une importance relative, sont un pur délice, croqués en quelques phrases, souvent assassines et drôles mais pas si méchantes que cela, en définitive, comme si l'auteur distillait son venin en le mélangeant à une certaine bienveillance voire tendresse (sic). Attention tout de même, sur certains sujets -le capitalisme, la religion, le sort réservé par la société aux personnes âgées- l'écrivain furieux reprend le dessus mais cela ne dure qu'un temps. Quant au désir de choquer, il est encore là mais ne se manifeste qu'incidemment, même si les scènes crues ne sont pas absentes, loin de là. Il y a à boire et à manger dans le roman, du beau et du bizarre (les rêves récurrents) mais surtout des pages entières à déguster (les conversations dans la famille de Paul) et des moments d'une infinie cocasserie mais aussi de douceur mélancolique vers la fin de l'ouvrage. Ce qui ressort du livre, en fin de compte, c'est que ce monde est absurde et que la vie humaine ne l'est pas moins mais que ce n'est pas une raison pour galvauder cette dernière, dans la mesure des moyens de chacun. Ce n'est peut-être pas très révolutionnaire ni profond comme conclusion, c'est entendu, mais le livre de Houellebecq, que l'on aime ou pas le personnage, a dans sa densité quelque chose de balzacien, ni plus, ni moins. Houellebecq est un expert du marketing comme le montre le lancement du roman mais pour une fois que le produit est à la hauteur des espérances ...