J’avais laissé Julia Deck avec son dernier livre, Monument national, un roman assez drôle sur Johnny aux Éditions de Minuit (rien que ça…), et la retrouve donc auréolée du prix Médicis – seule femme lauréate d’un grand prix d’automne ; on fait des progrès ! – pour un récit autobiographique familial au Seuil. Et pas n’importe quelle histoire de famille : un hommage à la mère. Ce n’est évidemment pas le premier ; on pense bien sûr à Albert Cohen, et plus récemment l’excellent Pas Pleurer de Lydie Salvayre (prix Goncourt 2014), aussi au Seuil, tiens, un magnifique roman sur sa mère et la guerre civile espagnole.
Dans l’immense espace des possibles de la littérature, le récit familial, ce n’est pas mon genre de beauté. Ou ma tasse de thé, puisque la Ann d’Angleterre du titre, la mère de l’autrice, est anglaise. Le livre est construit assez classiquement, dans une alternance de chapitres au présent sur la « fin de vie », comme on dit aujourd’hui, de Ann, confrontée à la décrépitude avancée de l’hôpital et la gériatrie française, et de chapitres au passé retraçant la vie de sa famille. On est donc dans une petite ville ouvrière anglaise dont Ann ne s’échappe que grâce à son talent scolaire. Le cinéma réaliste anglais a déjà beaucoup traité la question, entre Ken Loach et This is England ; on se promène donc en territoire connu. Et évidemment, comme dans toute histoire de famille, il y a un secret.
Bon. Je dois dire que ça ne m’a pas passionné. La description de l’enfer bureaucratique de l’hôpital, les ravages de la vieillesse, le temps qui passe, l’Angleterre pauvre éternelle, tout ça n’est pas très neuf. Je ne conteste évidemment pas l’entreprise louable de fixer sa mère dans l’éternité de la littérature, mais il y a d’autres moyens de le faire (comme Hélène Gaudy, ou Clémentine Mélois, par exemple).
Ce n’est pas une lecture désagréable grâce au style de Julia Deck, issue de l’école Minuit, tendance parodique, ligne Échenoz. Elle a de l’humour et l’élégance de ne pas trop le montrer :
Elle décroche un poste d’assistante d’anglais dans un lycée à Beauvais. La préfecture de l’Oise n’est pas encore célèbre pour son terminal Ryanair. Représentons-nous un décor peuplé de notables libidineux, où il pleut tout le temps. (p. 101)
Dans un guide culinaire légué par Olivia, elle retrouve la recette de gâteaux appréciés dans l’enfance. À la faveur d’un goût, d’un arôme, surgissent des mondes engloutis – on connaît cette sorte de choses. (p. 217)
Mais il y a surtout la phrase la plus juste pour décrire la littérature, à laquelle je pense que nous nous rallions toutes et tous ici. Dieu sauve Julia Deck.
On s’accroche aux mots qui jettent entre nous des ponts au-dessus de l’ordinaire. (p. 117)