J’ai lu ce texte pour la première fois, il y a une dizaine d’années. Je ne l’ai pas compris, pourtant, conscient de son importance, je l’ai mis de côté. Bien plus tard, je l’ai relu, sans mieux l’appréhender, me promettant d’y revenir. Simone Veil ne se livre pas aisément.
Que nous dit-elle ? Que « la formation de la faculté d'attention est le but véritable et presque l'unique intérêt des études. » D’ailleurs, elle ajoute qu’« il importe peu qu'on réussisse à trouver la solution ou à saisir la démonstration, quoiqu'il faille vraiment s'efforcer d'y réussir. Jamais, en aucun cas, aucun effort d'attention véritable n'est perdu. » La note importe peu, seul compte l’effort d’attention ! L’idée « courbertienne » me plaisait, mais que signifie l’attention ?
Selon Martin Steffens « l’attention est l’acte intentionnel par lequel le sujet se dispose à recevoir l’objet visé sans rien y ajouter de lui-même. En ce sens, elle est l’effort de n’en faire point, afin d’accueillir l’objet tel qu’il se donne, indépendamment du sujet qui se rapporte à lui. » Simone précise : « L'attention est un effort, le plus grand des efforts peut-être, mais c'est un effort négatif. Par lui-même il ne comporte pas la fatigue. Quand la fatigue se fait sentir, l'attention n'est presque plus possible, à moins qu'on soit déjà bien exercé ; il vaut mieux alors s'abandonner, chercher une détente, puis un peu plus tard recommencer, se déprendre et se reprendre comme on inspire et expire. »
L’attention est un « effort négatif », Simone se fait paradoxale. L’attention pourrait être un mélange d’écoute active, de disponibilité confiante et de concentration sans a priori. L’élève attentif s’oublie, un temps, pour écouter. Il écoute et suit l’exposé. Il accepte de mémoriser, d’apprendre et de se laisser conduire, avec plaisir, vers la solution. Il écoute le maitre, puis, seul, se prête à l’exercice. « L'intelligence ne peut être menée que par le désir. Pour qu'il y ait désir, il faut qu'il y ait plaisir et joie. L'intelligence ne grandit et ne porte de fruits que dans la joie. »
L’attention n’est pas la concentration, car l’attention s’autorise la distraction : un espace est laissé vacant, par lequel la solution de l’exercice, le mot manquant ou le geste attendu viennent à l’esprit. L’attention n’a rien de naturel, mais est acquise par l’exercice. Bien que relativement futile sur le moment, cette attention portera un fruit immense. Demain, elle vous rendra disponible à autrui. « La plénitude de l'amour du prochain, c'est simplement d'être capable de lui demander : “Quel est ton tourment ?“ » Puis, d’écouter, d’un regard attentif où l'âme se vide de tout contenu propre pour recevoir en elle-même l'être qu'elle regarde tel qu'il est, dans toute sa vérité. Seul en est capable celui qui est capable d'attention. »
Mieux encore, par la prière, elle vous ouvrira au Tout autre. Car « sans qu'on le sente, sans qu'on le sache, cet effort en apparence stérile et sans fruit a mis plus de lumière dans l'âme. » « Les biens les plus précieux ne doivent pas être cherchés, mais attendus. Car l'homme ne peut pas les trouver par ses propres forces, et s'il se met à leur recherche, il trouvera à la place des faux biens dont il ne saura pas discerner la fausseté. »