Début des années 20, Paris, Aurélien est un de ces millions de jeunes gens revenus de l'Horreur. La fortune familiale lui permet de vivre confortablement comme rentier, et il noie le vide de son existence dans des aventures sans lendemain et dans les mondanités. Vie désabusée et sans but qui aurait pu rester morne pendant encore longtemps, si Bérénice, jeune provinciale un peu mal fagotée et mariée à un pharmacien gentil et dévoué (c'est-à-dire en langage féminin terne et chiant !!!), cousine d'un de ses amis et anciens camarades de Front, n'était pas venue passer quelques temps dans la capitale...
Un roman qui débute par une phrase telle que...
La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement
laide.
...ne peut qu'avoir ma profonde sympathie.
Petite leçon par Monsieur Louis Aragon : comment écrire un livre de 700 pages juste sur un amour qui ne se concrétisera jamais tout en étant captivant ???
Alors vous écrivez un roman qui apparaît volontairement statique dans la période la plus intense, la plus violente et la plus "autant y aller à fond puisque la notion de survie n'a jamais été aussi prégnante", vous prenez un protagoniste qui apparaît Aragon, Drieu et imagination du premier, une protagoniste qui sous des dehors doux et faiblesse de caractère se révèle plus forte qu'on ne le pense dans un premier temps, une galerie de personnages avec leurs qualités, leurs défauts souvent à base de faiblesses, de la subtilité quoi... de la subtilité qui décrit à merveille la complexité du sentiment amoureux ; l'universalité et l'intemporalité du sentiment amoureux sur fond d'une description précise et fascinante du Paris des Années folles où on peut entendre les noms de Jean Cocteau, Pablo Picasso ou encore Claude Monet... Un style d'une simplicité et pourtant d'une grande richesse... Des apparentes contradictions en parfaite harmonie...
On regrettera juste un épilogue un peu trop politiquement appuyé, qui donne l'impression d'avoir été plaqué comme ça, sans soin, un peu maladroitement... On aurait pu faire sans...
Mais le reste, le reste... Je préfère vous laisser sur Aragon, c'est beaucoup plus éloquent et beau...
D'où lui venait ce goût de l'absolu, je n'en sais rien. Bérénice avait
le goût de l'absolu. C'est sans doute ce qu'avait senti Edmond
Barbentane quand il avait dit de sa cousine que c'était l'enfer chez
soi. Que savait-il d'elle ? Rien vraiment. Mais il arrive que les
hommes devinent les femmes, par un instinct animal, une expérience de
mâle qui vaut bien cette divination féminine dont on nous rebat les
oreilles. Aurélien, d'abord éveillé par cette expression surprenante,
qui cadrait si mal avec la femme qu'il avait tout d'abord aperçue,
l'avait oubliée, quand s'était établi entre Bérénice et lui un rapport
plus important que les jugements d'un tiers. Ainsi s'approchait-il du
gouffre, après avoir été tenté par le gouffre, ne sachant plus qu'il
en était un. Et leur roman, le roman d'Aurélien et Bérénice était
dominé par cette contradiction dont leur première entrevue avait porté
le signe : la dissemblance entre la Bérénice qu'il voyait et la
Bérénice que d'autres pouvaient voir, le contraste entre cette enfant
spontanée, gaie, innocente et l'enfer qu'elle portait en elle, la
dissonance de Bérénice et de son ombre. Peut-être était-ce là ce qui
expliquait ses deux visages, cette nuit et ce jour qui paraissaient
deux femmes différentes. Cette petite fille qui s'amusait d'un rien,
cette femme qui ne se contentait de rien. Car Bérénice avait le goût
de l'absolu.