J'ai un peu eu l'impression de lire "Humain trop humain" bis. En fait, cette méthode par aphorisme, je ne m'y fais pas : c'est un peu facile, je trouve, on te balance une réflexion comme ça, et c'est a toi de la traiter, de la comprendre, de l'expliquer presque. Donne-nous tes principes, tes axiomes, montre nous comment tu raisonnes, quelle est la structure, le cheminement, l'évolution !
En fait je trouve ça de mauvaise foi : on sent la théorie, on sent bien qu'il y a un fond, parce que les aphorismes portent, ils sont percutants. Du coup, ça donne l'impression d'une sorte de refus esthétique, de pied de nez aristocrate : vous n'aurez pas ma théorie, contentez vous de ses morceaux ; j'ai mieux a faire, je suis au-delà. Il l'a, mais il ne la partage pas. Ça fait vraiment pompeux : le coup d'éclat plutôt que le développement laborieux.
Pour autant, évidemment, le fond est là, et il est... profond. J'attends de lire la suite de l'oeuvre, mais ma théorie pour l'instant, c'est que ce que disait Michel Clouscard sur Kant ("il a tout vu mais il a immédiatement tiré le rideau") s'appliquerait en réalité beaucoup mieux à Nietzsche. Il y a tout de même une phrase incroyable au début du Gai Savoir qui dit en gros ceci : "toute philosophie est une interprétation du corps". Que n'a-t-il suivi cette piste ô combien riche et lumineuse, qui l'aurait tout droit mené à Freud (les rapports entre la pensée de Nietzsche et celle de Freud mériteraient une étude entière, tant certains aphorismes sont du Freud dans la lettre), plutôt que de se perdre dans l'anti-moralisme, qui n'est rien de plus qu'une autre sorte de moralisme ! Là il perd son fil, les aphorismes qui brodent avec brio sur ce thème du corps se perdent dans les attaques parfois gratuites et de mauvaise foi contre la religion.