Un roman noir, mais alors vraiment noir, avec des personnages pour la plupart fort bien campés et totalement perdus, pathétiques loosers piégés par la vie et qui n'ont d'autre échappatoire que la violence. Dans une cambrousse post-industrielle, où un semblant de lien social est maintenu par les cafés et les lycées, mais plus par le travail puisque l'usine ferme.
S'agissant de la forme, le bouquin est plutôt bien foutu, structuré qu'il est en trois parties avec une narration construite, de chapitre en chapitre, sur le point de vue des personnages principaux. Une première partie qui pose le décor, mais dans laquelle ces points de vue s'entrecroisent de manière non chronologique d'un personnage à l'autre. Un peu dur à suivre au début, mais une fois qu'on a pigé le coup, ça va et on en sort avec une bonne compréhension de la situation de départ, à partir de laquelle tout va basculer. Alors commence la seconde partie, sur un temps très court (deux ou trois jours, pas plus), mais en pas mal de pages, et là, ça part en couilles grave. Autant dire que personne, ou presque, n'en sort indemne, sur fond de tempête de neige dans les Vosges. La troisième partie - très courte - tient lieu d'épilogue : sur fond de pot de fermeture de l'usine, l'auteur esquisse le destin des principaux protagonistes, enfin de ceux qui ont survécu à la seconde partie. Tout ça donne une histoire plutôt palpitante et donc bien rythmée selon moi.
Le style est incisif, simple, sans fioritures d'autant que l'auteur se place, d'un chapitre à l'autre, du point de vue de chacun de ses personnages, qui sont ouvriers, dealers, proxénètes, anciens de l'OAS, lycéens...ou - ce qui dénote un peu dans le paysage - inspectrice du travail. Reconnaissons d'ailleurs à cet égard à Nicolas Mathieu une excellente connaissance du code du travail et des pratiques et postures du "dialogue social". En particulier, le directeur de l'usine et sa DRH sont remarquablement campés et, dans l'épilogue en particulier, criants de vérité.
Et au delà de cela, l'ensemble est d'ailleurs bourré de petits détails qui lui confèrent un réel air de véracité. Et on peut y trouver en filigrane une démonstration de ce en quoi l'adhésion aux thèses du Front National mène les victimes du néolibéralisme dans une impasse et dont la violence est l'unique issue possible, gavés qu'ils sont par ailleurs de messages publicitaires et abêtissants. En essayant en fait de retourner la violence sociale dont ils sont victimes contre d'autres, plus faibles qu'eux. Au risque de me répéter, tout ça résonne comme très réel et très actuel, d'autant que l'impasse en question arrange plutôt les tronches de foie de veau qui sont actuellement au pouvoir, et pour qui le F.N constitue encore - mais jusqu'à quand - le sparring partner électoral idéal.
Peu d'espoir donc à chercher dans "Aux animaux la guerre", si ce n'est deux passages qui détonnent un peu dans la trame générale. D'une part, le chapitre intitulé "mars - avril" (totalement désynchronisé de la chronologie du roman) qui marque le retour du printemps, du point de vue de l'inspectrice du travail. Et la scène érotique, plutôt réussie, qui conclut la seconde partie, mettant en scène deux lycéens. Qui font l'amour, alors que - tout près - les autres personnages s'entretuent littéralement. Pas sûr néanmoins que ce soit suffisant pour en faire un bouquin joyeux.