Babel est le joyau de l’Empire, le moteur de son pouvoir, de ses conquêtes, de sa domination sur le monde. Niché au cœur d’Oxford, le prestigieux département de traduction incite ses linguistes à parfaire la maîtrise de leurs langages respectifs pour maximiser la puissance de l’argentogravue qui irrigue la société britannique. Une société où un orphelin chinois, recueilli par le professeur Lowell par pur intérêt, n’a de place qu’en tant que ressource au service de l’Empire.
Sous ses atours de fantasy industrielle, Babel est un livre qui traite de thématiques modernes et complexes. Loin d’utiliser son univers (proche de la réalité de l’époque) comme un simple décor, R. F. Kuang en fait la matière principale de l’ouvrage, le pilier autour duquel les personnages et le récit se construisent. Robin et ses compagnons d’étude sont à la fois des êtres crédibles et la personnification de différentes expériences et visions sur la question du colonialisme, l’avancée du récit se faisant autant par leur progression scolaire que par leurs interrogations et leur prise de conscience des intrications du système dont ils font partie. Leurs réalisations et leurs questionnements sont également adressés au lecteur, et la question au centre de l’œuvre, celle du recours à la violence pour initier le changement -malheureusement reléguée à la page de garde-, imprègne chaque chapitre.
Babel sera une lecture difficile, voire décevante, pour celles et ceux qui se refusent à la déconstruction pour mieux se complaire dans un « pas de politique dans mon imaginaire ». Pour les autres, elle fera naître ou accompagnera la réflexion. R. F. Kuang marque un grand coup dans le paysage avec un roman passionnant, construit, réfléchi, qui démontre qu’on peut à la fois éveiller et distraire même au sein d’un sous-genre (le dark academia) a priori plus tourné vers la nostalgie que le progressisme.