Bel abîme renferme un cri de colère, une révolte. C’est un livre se lit d’une traite, en retenant son souffle. Dans un texte court et porté par une langue directe, Yamen Manai nous fait entendre la voix de la jeunesse tunisienne et sa colère.
Un adolescent est entendu par son avocat commis d’office et par un psychologue pour des faits graves qu’il a commis. C’est l’ocasion pour lui de déverser la rage et la haine retenues depuis si longtemps. Il raconte son enfance et l’absence de perspectives offertes par son pays. Au grè de ses entretiens on découvre son histoire et comment la violence imprègne sa vie depuis sa naissance.
Au plus bas de l’échelle, il y a nous, les enfants du peuple. Et même les enfants n’étaient pas le terminus de la cruauté. Ils réussissaient à trouver plus faible qu’eux pour déverser ce qui les dévastait. Enfants plus petits, animaux , insectes.
A travers l’histoire particulière d’une adolescent tunisien en colère, c’est le portrait de son pays que l’auteur dresse. Il dépeint une société où, malgré la révolution, les adolescents ne trouvent pas leur place. Le manque de perspective et de considération les laisse en marge de la société. Emprisonnés dans un état misogyne et autoritaire, ils cherchent des marques d’attention et des raisons d’espérer. Confrontés à son avocat et son psychologue, le narrateur s’exprime sans filtre, il pointe les désillusions de la révolution. Sans compromis, sa voix est directe et brutale.
En contrepoint de cette violence, il y a l’amour, l’amour pour une chienne. Cette rencontre lui donne un but, une raison de lutter et de se battre. Animal paria des sociétés musulmanes, elle offre au narrateur sa première experience d’amour et de tendresse. Il trouve dans sa relation avec elle une forme de renouveau. La liens qu’il noue avec la chienne sont extrêmement touchants et bien décrits. C’est cet amour-là qui cause ensuite sa condamnation et le lecteur ne peut qu’être en empathie avec ce personnage constamment mis de coté et incompris.
La vérité c’est qu’on ne mérite pas d’avoir des animaux dans ce pays, même pas des chiens, même pas de mouches. On devrait rester entre nous, entre monstre. De toute façon, ils finiront par nous quitter.
La lecture de ce monologue fiévreux prend au ventre et bouleverse. On sent toute la rage et le désespoir du narrateur. L’écriture porte sa colère avec force. J’ai été vraiment touchée par ce court texte percutant. Elyzad est une maison d’éditions qui réserve plein des belles surprises.
Lire ne donne pas de pouvoir, lire ne sauve pas ? Cela ne fait aucune différence, on finit toujours les pieds devant ? Ok, lire ne rend pas immortel, je vous l’accorde, mais ça rend moins con, et ça, c’est déjà beaucoup.