Bel abîme
8.4
Bel abîme

livre de Yamen Manai (2021)

Bel abîme renferme un cri de colère, une révolte. C’est un livre se lit d’une traite, en retenant son souffle. Dans un texte court et porté par une langue directe, Yamen Manai nous fait entendre la voix de la jeunesse tunisienne et sa colère.


Un adolescent est entendu par son avocat commis d’office et par un psychologue pour des faits graves qu’il a commis. C’est l’ocasion pour lui de déverser la rage et la haine retenues depuis si longtemps. Il raconte son enfance et l’absence de perspectives offertes par son pays. Au grè de ses entretiens on découvre son histoire et comment la violence imprègne sa vie depuis sa naissance.



Au plus bas de l’échelle, il y a nous, les enfants du peuple. Et même les enfants n’étaient pas le terminus de la cruauté. Ils réussissaient à trouver plus faible qu’eux pour déverser ce qui les dévastait. Enfants plus petits, animaux , insectes.



A travers l’histoire particulière d’une adolescent tunisien en colère, c’est le portrait de son pays que l’auteur dresse. Il dépeint une société où, malgré la révolution, les adolescents ne trouvent pas leur place. Le manque de perspective et de considération les laisse en marge de la société. Emprisonnés dans un état misogyne et autoritaire, ils cherchent des marques d’attention et des raisons d’espérer. Confrontés à son avocat et son psychologue, le narrateur s’exprime sans filtre, il pointe les désillusions de la révolution. Sans compromis, sa voix est directe et brutale.


En contrepoint de cette violence, il y a l’amour, l’amour pour une chienne. Cette rencontre lui donne un but, une raison de lutter et de se battre. Animal paria des sociétés musulmanes, elle offre au narrateur sa première experience d’amour et de tendresse. Il trouve dans sa relation avec elle une forme de renouveau. La liens qu’il noue avec la chienne sont extrêmement touchants et bien décrits. C’est cet amour-là qui cause ensuite sa condamnation et le lecteur ne peut qu’être en empathie avec ce personnage constamment mis de coté et incompris.



La vérité c’est qu’on ne mérite pas d’avoir des animaux dans ce pays, même pas des chiens, même pas de mouches. On devrait rester entre nous, entre monstre. De toute façon, ils finiront par nous quitter.



La lecture de ce monologue fiévreux prend au ventre et bouleverse. On sent toute la rage et le désespoir du narrateur. L’écriture porte sa colère avec force. J’ai été vraiment touchée par ce court texte percutant. Elyzad est une maison d’éditions qui réserve plein des belles surprises.



Lire ne donne pas de pouvoir, lire ne sauve pas ? Cela ne fait aucune différence, on finit toujours les pieds devant ? Ok, lire ne rend pas immortel, je vous l’accorde, mais ça rend moins con, et ça, c’est déjà beaucoup.


Anaïs_Alexandre
9

Créée

le 26 déc. 2021

Critique lue 447 fois

4 j'aime

Critique lue 447 fois

4

D'autres avis sur Bel abîme

Bel abîme
Raphal_Trujill
7

Les Explorateurs de la rentrée littéraire 2021

Avis de la page 30 - Les Explorateurs de la Rentrée littéraire 2021 Pour un livre de seulement 110 pages, mon premier avis s'arrêtera à la page 30. Et déjà, Yamen Manai nous transperce le cœur, avec...

le 2 sept. 2021

1 j'aime

Bel abîme
Once_Upon_a_line
10

Court mais efficace

Je ne pensais pas pouvoir être aussi touchée par un livre aussi court.Construit comme un discours, récits rapide, vif et cinglant.La vérité brut des rues de Tunis, de l'âme des hommes et des...

le 3 juin 2024

Bel abîme
YvesMabon
10

Critique de Bel abîme par Yv Pol

Ne lisez point trop autour de ce livre remarquable, courez l'acheter ou si vous l'avez déjà, ne traînez pas, lisez-le. 110 pages, ça va vite et c'est un long monologue du jeune homme qui attend un...

le 2 sept. 2022

Du même critique

Pastorale américaine
Anaïs_Alexandre
9

Critique de Pastorale américaine par Anaïs Alexandre

L'histoire nous est racontée par Nathan Zuckerman. Il s'agit d'un narrateur récurrent des romans de Philip Roth, un écrivain solitaire et observateur de ses condisciples. Celui-ci retrouve Seymour...

le 13 mai 2018

10 j'aime

1

Va et poste une sentinelle
Anaïs_Alexandre
10

"Je t'ai tuée, Scout. Il le fallait !"

Comme beaucoup je garde un souvenir impérissable de ma lecture de Ne tirer pas sur l'oiseau moqueur. Le personnage de Scout fait partie de ceux qui m'accompagnent encore et se rappelle à moi...

le 19 oct. 2015

7 j'aime

Steak Machine
Anaïs_Alexandre
9

"Les abattoirs créent des handicapés."

Geoffrey Le Guilcher est journaliste indépendant et s'est intéressé aux abattoirs suite aux vidéos publiées par l'association L214. Face à ces actes de maltraitance animal, il s'est demandé qui...

le 7 févr. 2017

6 j'aime