Roman autobiographique, Black Boy décrit la jeunesse de Richard Wright, auteur américain surtout connu pour l'incendiaire "Native Son", dans les ténèbres et la misère du Sud ségrégationniste. De la petite enfance tempétueuse à l'aube douloureuse de l'âge adulte, toutes les épreuves et les blessures sont exposées et transmises avec une sincérité au fil du rasoir. Toute l'essence du roman d'apprentissage est capturée ici. Un apprentissage transfiguré, défiguré, par l'expérience effroyable du racisme institutionnalisé s’infiltrant dans chaque étape de la vie de l'auteur, manquant de peu de le déposséder de sa propre humanité mais n'y arrivant jamais. Car Black Boy est l'histoire d'une lutte. Une lutte intérieure de chaque instant pour conserver une identité indépendante de carcans raciaux imposés, de dogmes religieux, et d'un déterminisme social vicieux et meurtrier.
Roman social, Black Boy montre à quels points les éléments extérieurs de la vie d'un individu tiennent d'un système pensé, organisé, rationalisé pour opprimer une catégorie de la population sur le critère de la Race, jusqu'à convaincre cette population qu'elle ne doit renoncer à une liberté, une profondeur, une richesse de pensée, d'émotions, d'ambitions. Une liberté dérobée jusque dans l'intériorité même d'une masse d'individus qui pour moyen de survie, anesthésient tout espoir, se rabaissent pour paraître indignes d'intelligence et d'intégrité. A quoi bon tenir à la vie si elle ne vous offre que terreur (la "terreur blanche", à juste titre) et déceptions? On est dans le Mississippi, dans les années 30-40. Il faut être sacrément tenace, naïf voir suicidaire.
Que le jeune Richard Wright parvienne à s'extirper de ce contexte social relève du miracle. Il prouve que déterminisme ne rime pas avec fatalisme. Et pourtant, à l'âge de 6 ans il est déjà ivrogne et traîne dans tous les bars de son quartier, buvant des restes de whiski et jurant à tout va. Il était commençait mal. Doté d'une sensibilité à fleur de peau, il se constitue petit à petit un îlot intérieur, nourri d'escapades imaginaires suscitée par la lecture. Comme il l'explique, ce replis sur soi n'est pas tant le fruit non d'une liberté de choix que d'une contrainte exercée par l'adversité, la misère et le fondamentalisme religieux. C'est un maigre barrage contre l'Alterité qui n'a que d'influence négative, un refuge instable pour son âme. Chaque étape le reclus un peu plus.
Élevé par sa grand-mère extrêmement dévote qui le force à prier des journées durant, il ne réussi jamais à faire émerger une once de foi en un Dieu qu'on lui ingurgite de force. Dès lors, il est perdu pour son entourage : il n'est plus qu'une teigne, une mauvaise herbe destinée à dès le départ à pousser de travers. Chaque relation avec sa famille s'exprime dans la violence physique et morale, et pourtant il conserve tout l'héritage de leurs injustices subies (le fameux héritage familial qui vous suit comme une ombre). Son indépendance d'esprit le rend étrange et dangereux, une anomalie dans la désolation intellectuelle du Sud. Sa curiosité le mène à l'isolement moral et social. Sa solitude, imposée à la fois par sa famille et par lui-même le rend inapte à la fois vis-à-vis de ses pairs mais aussi et surtout au monde Blanc. Trop tard, il doit apprendre à se taire, à singer, à s'abêtir pour éviter la mort. Il expérimente trop tard les intimidations des Blancs pour s'y habituer et trouver ça normal. Sa solitude, à la fois sa peine et sa sauveuse.
Et malgré toute cette douleur (qui ne tombe jamais dans le misérabilisme !), Black Boy est un roman d'espoir. Un plaidoyer pour la différence. Toute proportion gardée, on s'identifie à Richard Wright. Un garçon différent, bizarre, curieux et introverti. Qui cherche plus loin que le bout de son nez. Qui veut comprendre, imaginer, et être aimé. Qui ose espérer encore malgré tout. Qui essaie de sauver sa peau en fuyant, lui et sa famille, dans le Nord. Et qui n'abandonne pas l'idée de retrouver un jour la joie simple que l'on connaît enfant, dans le monde désolant dans lequel il a eu à grandir.