Tom Wolfe écrit peu de romans. Il prend son temps. Mais alors, le résultat est là!
Encore une fois, après les réussites que furent "le bûcher des vanités" et "un homme, un vrai", pour ne citer que seslivres les plus connus, la dernière oeuvre de Tom Wolfe est aussi un chef d'oeuvre.
L'homme au costume et au chapeau blanc, qui se qualifie comme étant "aussi et surtout un journaliste" (entretien avec F. Busnel dans la revue Lire de mai 2013), a, une nouvelle fois, observé, regardé, enquêté pendant cinq ans à Miami avant d'entamer l'écriture de son pavé (820 p en édition de poche Pocket).
Les thèmes chers à Wolfe se retrouvent ici: le sexe, l'argent et le pouvoir, les races (le lignage, d'où le titre). Pas loin d'une dizaine de personnages se retrouvent dans le livre, mais ne se mélangent pas (le melting-pot est un échec à Miami). Entre eux, tout un jeu d'intrigues, de pouvoirs, plus vrais que nature, je devrais dire "aussi vrais que nature", puisque tout cela n'est pas inventé, mais observé, précisément, méticuleusement.
Le plus intéressant, le plus positif de ces personnage est le jeune Nestor Camacho. C'est un policier d'origine cubaine, vivant dans un quartier cubai. Sa petite amie est cubaine. D'emblée ce personnage se livre à une action héroïque en sauvant un des ses compatriotes monté en haut d'un mât de près de 30 mètres sur un voilier au port. Nestor est une boule de muscles doté d'une motivation absolue. Il évite probablement la mort de celui qu'il sauve en le redescendant coincé entre ses jambes, à la force des bras. Hélas, lorsqu'il rentre dans son quartier, dans sa famille, tout le monde lui tourne le dos. En effet, en vertu de la disposition juridique du "pied mouillé", son compatriote, livré à la police du port, sans toucher la terre des EtatsUnis, est probablement condamné à un retour à Cuba. Nestor est donc perçu par ses pairs comme un traître...
Le morceau de bravoure que constitue la narration de cette scène et de ses conséquences nous fait entrer de plein fouet dans le roman.
D'autres scènes fortes, et là encore on ressent qu'elles ne sont pas purement inventées, parcourent le livre. Celle de la promenade en bateau (une "cigarette", sorte de gros hors-bord pouvant friser les 130 km/ heure) dont le but est une participation à une visite de la débauche des WASP friqués sur une séries de bateaux de luxe, dont le point d'orgue est la représentation filmée de scènes pornographiques ... sur une voile, est également très réussie. Ou encore l'ouverture d'une foire d'art contemporain, où l'on observe les très riches se ruer à l'entrée comme les consommateurs moyens au moment des soldes, avec une violence terrible et un ridicule absolu, et acheter les yeux fermés ce qu'il y a de plus cher, dans la mesure où leur conseiller les y invite. Le fric, toujours le fric: c'est incroyable ce que les gens très riches peuvent se permettre, semble penser l'auteur.
Le style de Wolfe reste identique à celui qu'on lui connait: points de suspension et d'exclamation à profusion, capitales, répétions de mots ou d'ensemble de mots. Tout ça pour souligner, insister.
Le style est dans la démesure, comme l'action l'est aussi, comme ce qui se passe sous les yeux de l'écrivain l'est/. Un roman de Tom Wolfe, c'est de la photo, de l'hyper réalisme, de la démesure de l'excès. Mais tout ça est TELLEMENT VRAI!
Ceux qui ne connaissent pas Tom Wolfe, que je considère comme un des plus grands écrivains étasuniens contemporains, je leur dis: n'hésitez pas, vous ne serez pas déçus. Quant aux autres, ceux qui l'ont déjà lu, ça m'étonnerait qu'il y ait quelque chose à leur dire...