Énorme choc que ce livre que j'ai eu la chance de découvrir grâce au Prix des lectrices Elle ! Andrée Michaud est une romancière québécoise de premier plan qui avec Bondrée a remporté les prix littéraires les plus prestigieux outre-Quiévrain.
L'intrigue de ce thriller est assez simple : dans une petite communauté installée à l'orée d'une forêt, autour d'un lac (cadre de conte s'il en est !), une jeune fille disparaît. Puis une autre. Toutes deux fauchées au zénith de leur beauté et de leur liberté. L'enquête du flic Stan Michaud démarre avec difficulté, en l'absence de témoins et de pistes précises. La trame fait la part belle a l'intuition et au sens de l'observation. L'originalité de ce polar littéraire tient à deux éléments principaux : la narratrice est une gamine de 12 ans (portant le prénom de l'auteur), rebelle et garçon manqué, attachante et drôle, qui a toujours une oreille qui traîne et suit de son oeil espiègle les avancées de la police, espionne les individus... Et n'a pas la langue dans sa poche. Le second élément est le style employé par l'écrivain : une plume raffinée, des descriptions poétiques éblouissantes, qui installent une atmosphère à la fois angoissante et hypnotique permettant d'imaginer tous les possibles...
Est-ce le monstrueux homme des bois, collectionneur de fourrures ensanglantées, qui sévit à coups de pièges à loups sur les jeunes filles ? Ou est-ce que le coupable se faufile discrètement parmi les bons pères de famille bien sous tous rapports ?
La construction narrative permet d'entretenir le suspense jusqu'au bout en entrecoupant le récit de quelques chapitres où c'est le tueur qui s'exprime, distillant ça et là quelques indices sur ses mobiles...
Et puis, il y a cette langue québécoise si riche, si vivante, qui m'a énormément séduite, tissée d'anglicisimes francisés ou de résurgences d'ancien français du meilleur effet. "Beurre de pinottes" (pour peanut butter), "balloune", "catin" (du vieux mot "catine" qui signifie poupée), "Bondrée" vient de l'anglais "boundary", frontière, les chips sont des "croustilles".. Lexicalement parlant, c'est très recherché et passionnant sur les évolutions de la langue au Québec. J'ai également beaucoup aimé cette incursion dans la culture acadienne, via de multiples détails sur les marques, les habitudes alimentaires, l'oralité des conversations qui mélangent souvent l'anglais et le français dans cette zone où les deux langues sont parlées.
Pogne pas les nerfs, Valère, y font juste leur job.
J'ai été totalement happée par ce roman qu'on ne parvient pas à lâcher et qu'on engloutit avec délice, hypnotisée par le style, l'atmosphère et l'intrigue dont on attend impatiemment le dénouement (pour moi un peu trop rapide, d'où mon 9).
Je ne résiste pas à l'envie de vous livrer quelques citations que j'ai trouvées si élégantes et qui, j'espère, vous donneront envie de vous lancer à votre tour sur les traces de Zaza Mulligan et Sissy Morgan...
(...) son regard bleu maquillé de ces ombres n'appartenant qu'aux mères.
(...) sa chevelure, cette traînée de lumière éteinte dans l'ombre verte.
(...) elle avait très bien pu s'évanouir près du ruisseau, comme les princesses des contes de fées, en un long soupir faisant choir leur voile, ou s'y traîner pour soulager sa blessure, comme les chevreuils, les ours et les orignaux, y abandonnant un peu de sa matière vivante.
(...) le nom d'une héroïne dont le prénom dérivait dans le souvenir.
(...) Qui sait d'ailleurs si sa luminosité ne venait pas d'eux, du mot "soleil" et du mot "lumière" se détachant des pages, des éclaircies s'ouvrant dans les forêts où s'aventuraient les personnages ? (...) Les livres ne vous blessaient jamais, c'est pourquoi il les avait choisis. Chaque fois qu'il s'en éloignait trop, ce n'était que pour constater la douleur franche du réel.
(...) le regard de cette mère, enflammé par le passage répété du sel et de l'eau. (quelle beauté ♡)
(...) Leur odeur me rendait heureux, avait-il ajouté en se rapprochant de Dorothy pour poser un baiser sur sa nuque, qui sentait le sucre, le miel légèrement teinté de cire des alvéoles. You also smell like childhood, et cela était vrai. Elle dégageait des parfums d'enfance qui le rassérénaient, des odeurs que l'âge n'avait pu ravir à l'innocence.
(...) un chien de la légèreté d'un nuage s'accrochant à ses pas.
(...) Quand il tentait de se remémorer les périodes heureuses de sa vie, cette semaine en faisait partie. Dans son esprit, ces quelques jours au bord de l'eau étaient d'un jaune étincelant coupé d'ombres franches que traversaient les fumets de truite et les coups de vent chargés de parfums bleus et verts.