Je ne sais pas (aujourd'hui) pourquoi, mais Sagan représentait pour moi le symbole d'une littérature superficielle et bourgeoise, dépassée depuis toujours par la futilité glamour de ses sujets. Lire Sagan me paraissait une totale perte de temps par rapport aux plaisirs que pouvaient me procurer la littérature sérieuse aussi bien que celle de pur divertissement. Gifle cinglante donc pour moi que cette lecture tardive de "Bonjour Tristesse", livre ravageur de moins de deux cent pages, bolide émotionnel lancé à cent à l'heure sur les routes en lacet de la côte d'azur, course folle dont je suis sorti à la fois joliment émerveillé et cruellement blessé. Il y a tout d'abord une écriture superbe, à la fois extrêmement précise et juste dans sa description des tourments émotionnels et des émois sexuels de son héroïne de dix sept ans (ce fut un scandale à l'époque, mais c'est complètement anodin aujourd'hui, et heureusement, puisque ça permet au lecteur de se concentrer sur l'essentiel du livre), mais qui sait être doucement poétique ça et là sans jamais forcer le trait. Il y a ensuite la belle force de cette mini-fiction totalement crédible qui ouvre constamment des abimes sous les pieds du lecteur fasciné. Le meilleur parallèle que j'ai envie de faire est celui, paradoxal pour certains, mais évident pour moi, entre "Bonjour Tristesse" et certains des contes moraux les plus réussis d'Eric Rohmer ("la Collectionneuse", "l'Amour l'Après Midi", "le Genou de Claire" me viennent spontanément à l'esprit) : on y retrouve la même tragique profondeur derrière l'éclat du soleil qui échauffe les sens, et l'apparente superficialité de personnages qui se perdent eux-mêmes dans leurs jeux plus ou moins pervers. C'est tout simplement magnifique ! [Critique écrite en 2015]