Les gredins honnêtes

J'ai hésité entre ce titre et "pas un pour racheter l'autre". Puis j'ai préféré cette formule de Maupassant dans :

"Elle se sentait noyée dans le mépris de ces gredins honnêtes qui l'avaient sacrifiée d'abord, rejetée ensuite, comme une chose malpropre et inutile".

De nombreux cinéastes, écrivains, scénaristes de nombreux pays ont adapté cette nouvelle tant elle respire l'universalité. Les plus célèbres (vu de ma fenêtre) sont John Ford avec Stagecoach et notre Christian Jaque national.

Je ne reviens pas sur l'histoire qui raconte une infamie sous couvert de bienséance.

Mais l'échantillon de population de cette diligence qui doit faire un trajet de Rouen au Havre alors en pleine occupation prussienne lors de la guerre de 1870 est significatif de la population : un commerçant (plus ou moins honnête, plus ou moins libertin) et sa femme (bourgeoise cocue mais aussi pincée de l'entre-deux), un entrepreneur et sa femme (qui en pince un peu, en rêve, pour les beaux officiers qu'ils soient prussiens ou français), un aristocrate et sa femme perclus de religiosité et de morgue, deux bonnes sœurs (les référentes en matière de religion et de sacrifice), un démoc (un démocrate qui veut l'avènement de la république après la faillite du second empire et qui s'oppose aux nantis) et Boule de Suif.

Cet échantillon diffère notamment de celui présenté par Christian-Jaque où Cornudet, le démocrate, se pose dans le film en défenseur de Boule de Suif. Il faut dire qu'en 1945, il s'agissait aussi de mettre en avant un résistant. Ici, le "démoc", comme dit Maupassant, essaye de profiter de la situation, une nuit, pour se taper "Boule de Suif" et à la fin oublie de partager son casse-croute …

C'est dire le pessimisme de Maupassant sur toutes les couches de la société susceptibles d'accéder au pouvoir. Pas un pour racheter l'autre… disais-je en entrée.

Comme bien des nouvelles de Maupassant, on trouve en quelques pages une description féroce de la société où bêtise rivalise avec hypocrisie. Et je ne résiste pas à écrire cette phrase – infecte, inacceptable - où une des bourgeoises, "dans un rire muet de triomphe" regardant en douce les larmes couler silencieusement sur le visage de Boule de Suif : "elle pleure sa honte"

Cette nouvelle de Maupassant, comme pas mal d'autres, me révolte à chaque lecture. Pas la peine d'aller chercher bien loin le racisme.