Fait 1/ je lis somme toute raisonnablement peu
Fait 2/ je ne suis pas familier du tout avec l'oeuvre pourtant prolifique de Don Winslow
mais surtout Fait 3/ je peux vous affirmer en toute mauvaise foi tenir là son chef d'oeuvre, et un des livres majeurs des années '10. Rien que ça (et au minimum).
The Cartel s'ouvre dans la sérénité, comme un superbe trompe l’œil rédigé, car quand cette brève période de quiétude s'achève pour immédiatement basculer dans la tension, c'est pour 600 pages, jusqu'à un épilogue encore en état de choc post-traumatique.
Narrativement, The Cartel est la suite de La Griffe du Chien, que je ne connaissais pas, même pas de nom, et que je vais sans doute bientôt me procurer et m'enfiler tout aussi sec.
Winslow est un auteur qui sort énormément de livres, travaille souvent sur deux à la fois ("pour changer de projet quand je suis bloqué sur l'un"), mais là, c'est le résultat de six ans de recherches, c'est son grand-oeuvre, ce sera sans doute son testament littéraire.
Il navigue frénétiquement entre les pourris jusqu'à la moelle et les antihéros caractéristiques dans un narco-Mexique plus vrai que nature avec un rythme d'écriture presque jazzy, presque scandé, presque suppliant d'être lu à voix haute. C'est comme descendre aux Enfers en roulant à toute berzingue dans une Lamborghini, du free jazz à fond les vitres grandes ouvertes, en slalomant entre les bateliers du Styx qui prennent eux leur temps.
C'est le Sur la route du narco-terrorisme.
Le bouquin respire les crissements de pneus, les coups d’œil transpirants dans les rétros, les paysages défilant trop vite pour l’œil civil.
Le pessimisme est de mise, la seule rédemption n'a rien de cathartique mais n'est que sacrifice, parjure, refoulement.
Miles Davis disait pourquoi jouer toutes les notes, puisqu’il suffit de jouer les plus belles ?
Winslow les joue toutes, parce qu'un quelconque autre parti pris serait une entorse à la vérité.
C'est peut-être ça, la Beauté des Enfers.
Entrer dans le Cartel, c'est s'infliger une expérience au-delà d'une simple lecture. C'est se sentir irrésistiblement attiré par un diamant noir, de plus en plus noir, et ne pouvoir s'en détourner jusqu'à ce qu'il dérobe enfin, subitement, du papier.
A ce moment là, vraiment, there is nothing to do but be still.