Cartel, c'est vraiment la suite de la griffe du chien...après une pause de quelques années, avec Barrera en taule et Keller au monastère, ça redémarre en 2004 et les presque neuf cent pages du bouquin vont s'étaler sur huit ans. En fait, Cartel est sorti aux Etats-Unis en 2015, soit dix ans après son prédécesseur. Et, en dépit de cette décennie d'écart, il n'y a pas véritablement de rupture dans le style et la forme des deux livres. C'est pourquoi - solution de facilité, c'est vrai - je renvoie mon lecteur à ma critique du premier (lue 67 fois, à date), qui demeure pour l'essentiel valide, même si évidemment la claque (due à l'effet de surprise) est moins forte la seconde fois : https://www.senscritique.com/livre/La_Griffe_du_chien/critique/167567896
Par contre, ce qui n'est pas moins fort, c'est l'emprise qu'exercent les narcotrafiquants sur la société mexicaine, non plus que les moyens qu'ils emploient. Ah ouais, ça ne rigole plus désormais, on est passé dans les années 2000, post 11 septembre, années de guerre et de capitalisme triomphant. Fini les truands flamboyants et excentriques et leurs codes moraux un peu surannés, d'une autre époque. Désormais, ça massacre ferme, à la dizaine et ce sont des professionnels surentrainés et surarmés qui s'en chargent. Le sang suinte littéralement de ce bouquin.
Ce qui est véritablement effrayant, c'est que Cartel semble s'inspirer d'assez près de la réalité. Je dis semble car il est malaisé de trouver des sources d'information fiables et aisément accessibles sur le sujet. Mais les victimes, parfois innocentes, de ces guerres de la drogue se compteraient par dizaine de milliers. Pourtant, l'actualité, du moins en France, n'en parle guère. Tout juste avons nous eu droit, au début de la mandature Sarkozy à l'affaire Florence Cassez, qui était semble t-il en relation avec le milieu des narcotrafiquants. Et encore, la façon dont elle a été relatée n'évoquait ce milieu que d'assez loin. Bon autant vous le dire, selon Winslow, la totalité de la classe politique et des milieux d'affaires mexicains sont compromis avec les cartels. Et les journalistes priés de fermer leur gueule, ce qui pourrait expliquer l'indigence de l'information que j'évoquais plus haut.
La deuxième moitié du bouquin s'attarde sur la ville frontalière de Juarez, et - justement - sur ses journalistes. Avec une très bonne fin, d'ailleurs, même si on se doutera qu'elle n'est pas véritablement heureuse. Et un texte final de l'un des protagonistes de l'histoire, qui sonne comme une forme de manifeste et qui, au-delà des seuls narcotrafiquants, s'attaque au système qui les engendre et dont je citerai un passage en guise de conclusion :
"Ce n'est pas une guerre contre la drogue. C'est une guerre contre les pauvres...Félicitations. Vous avez réussi. Vous avez fait un grand nettoyage...Le pays peut enfin accueillir vos centres commerciaux et vos banlieues, en toute sécurité, les invisibles sont cachés et les sans voix sont muets, comme il se doit."
Car en définitive, il y a aussi des compagnies pharmaceutiques qui distribuent, légalement, des opiacés aux Etats-Unis. Avec une mortalité qui commence à devenir visible...