Céline, un auteur ayant fait couler beaucoup d'encre, par un style très critiqué : le premier auteur à "écrire comme l'on parle"... Médecin d'extrême-droite et antisémite, autant dire que Céline fut loin d'être l'ami public n°1 de ses contemporains. Et pourtant, n'ayant lu que le début de Voyage au bout de la nuit (jamais fini par manque de temps), le style me plaisait tout de même. Voulant lire un peu de Céline entre deux lectures impératives, en attendant peut-être allais-je, me suis-je dit, me plonger à corps perdu dans un autre Céline, moins court, pour ne pas être en reste. Casse-pipe trônait, par je ne sais quel artifice, dans ma bibliothèque, entre son Voyage et La Peste de Camus, tout petit Folio n°666 ayant l'air plutôt court à lire. Je l'ai empoigné et l'ai commencé. Et...
On dit souvent beaucoup de bien de Céline, de par son fameux Voyage, ou bien par Rigodon, Mort à crédit, Guignol's Band, D'un château à l'autre... Ayant donc lu le début du livre mentionné en premier paragraphe, je m'étais à peu près rangé à cette opinion : que Céline est un grand auteur, doté d'un style hors du commun, un écrivain révolutionnaire et tout le tintamarre s'en accompagnant. Mais dans ce cas, peut-être cela signifie-t-il que Casse-pipe est sa "petite faiblesse". Refermer ce petit ouvrage méritant son numéro 666 fut presque une bénédiction, tant la lecture en fut atroce, désagréable.
Un jeune soldat, engagé volontaire au 17ème de cuirassiers, se retrouve au milieu de soldats et d'officiers vautrés dans de la paille. Ils sont envoyés relever des soldats et retrouver des chevaux ayant fugué, mais l'oubli du mot de passe contraint les soldats à se cacher dans une écurie. de retour au poste de garde, sévèrement admonestés, ils font face dans l'indifférence générale à la crise d'épilepsie d'un autre soldat. Au petit matin, le maréchal-des-logis fait s'aligner rapidement les soldats pour faire un brin de toilette au crachat. Ce n'est que le début du cauchemar pour Ferdinand, l'engagé, qui a signé pour trois ans.
Certes, Casse-pipe et Voyage au bout de la nuit sont presque écrits de la même manière ; à savoir oralement, avec un argot produit sur la base d'un langage artificiel, mais le premier exacerbe encore plus cette façon de parler. Dans le Voyage, on constatait un certain équilibre dans le style malgré toute sa démesure, et l'on gardait dans le récit un certain sens "littéraire". Dans Casse-pipe, tout le style littéraire semble mis de côté, et Céline écrit presque l'histoire ainsi qu'il se la raconte à lui-même, sans aucune modification ou remaniement. C'est bien beau, tout ça, mais à un moment, il faut savoir se modérer... Un charivari de ponctuation expressive en surabondance au milieu de phrases hachées et incompréhensibles dans tout un argot abscons et inintelligible : il faut dire les choses comme elles sont, c'est fatigant. Fatigant à lire et à s'imaginer. L'impression que les phrases jamais ne s'arrêteront et s'imaginer les personnages parler en braillant à cent-cinquante décibels, on n'en sort pas indemne, et ça donne mal au crâne.
Et les dialogues, où la ponctuation expressive, les lettres minuscules et majuscules et les mots d'argot incompréhensibles sont jetés pèle-mêle dans un robot puis mixés à la purée alphabétique ne donne pas l'impression d'un très grand travail. Les yeux et la tête se gonflent à la lecture aux accents coercitifs de Casse-pipe.
Un roman (une nouvelle ?) raté(e) en somme. J'espère à titre personnel que la lecture future des autres œuvres de Céline me donneront un avis plus positif quand à ses qualités non-négligeables d'auteurs ; considérons ainsi tout simplement Casse-pipe comme un accès de faiblesse.
(Critique écrite sur Babelio le 10/05/2015)