Pour ceux qui n'ont pas encore lu Catch 22 (et n'ont en conséquence pas cette impression de déjà lu), Yossarian est le héros éponyme du roman de l'auteur états-unien Joseph Heller (1923-1999).
Bombardier dans une escadrille de B-25 stationnée sur une petite île italienne pendant la Seconde Guerre mondiale, Yossarian - on peut le comprendre - est persuadé qu'il va mourir. L'ennemi, ses supérieurs, l'Etat-major, les concepteurs du B-25, tout le monde s'est ligué pour lui trouer la peau. L'instinct de survie lui dicte donc de trouver un moyen pour se sortir du traquenard dans lequel il s'est engagé. Mais, la tâche est rendue ardue par le colonel qui commande son unité et par l'article 22 d'un règlement stipulant :
« Quiconque veut se faire dispenser de l'obligation d'aller au feu n'est pas réellement cinglé car le fait de s'inquiéter de sa propre sécurité face à des dangers réels et immédiats est la manifestation d?un esprit conséquent. »
Attrape-nigaud simple, entourloupette imparable, cet article 22 permet à l'officier de parer aux défections dans ses équipages au courage défaillant.
Totalement irracontable, Catch 22 est un brillant exercice fondé sur une structure de narration non linéaire. En effet, le récit suit une logique singulière, celle du déjà-vu, qui favorise digressions en cascade et fréquents chassés-croisés narratifs facétieux.
Ainsi, Joseph Heller pousse le lecteur à une gymnastique mentale intensive ne ménageant, comme unique planche de salut, que le nombre croissant de missions imposé aux aviateurs. Il s'amuse avec ce procédé avec une admirable virtuosité poussant son art jusqu'à faire s'interroger un de ses personnages - celui de l'aumônier - sur l'impression de déjà-vu qu'il ressent.
Catch 22 est également possédé par une joyeuse dinguerie, voire une franche folie burlesque qui n'est pas sans rappeler le nonsense des Monty Pythons et des Marx Brothers. Les personnages qui donnent leur nom à chaque chapitre, sans forcément en constituer le coeur, sont tous délicieusement grotesques et sérieusement atteints sans être aucunement caricaturaux. En fait, on sent même plus d'une fois percer le drame humain se cachant derrière la satire.
D'une causticité redoutable, Catch 22 confirme finalement la crétinerie de la hiérarchie militaire, qui en prend pour son grade, et l'absurdité de la guerre, cette grande faucheuse, dont l'humanité ne semble décidément pas vouloir se lasser. Ceci explique que ce roman soit devenu le livre de chevet des pacifistes états-uniens opposés à la guerre au Vietnam.