Si tu veux faire de ta vie un maillon d'éternité, rester lucide jusque dans le cœur du délire, aime

Yasmina Khadra !
Un auteur découvert complètement par hasard il y a plus de vingt ans avec "A quoi rêvent les loups" à moins que ce ne soit "l'automne des chimères". Je ne me souviens plus car immédiatement après je me suis mis à dévorer les livres de cet auteur algérien prolifique.
Yasmina Khadra est le pseudonyme qu'a choisi l'auteur Mohammed Moulessehoul à partir des prénoms de son épouse ...

Yasmina Khadra !
On a le même âge mais ce n'est pas une raison... Il a une écriture très belle, très fluide, captivante : ça, c'est une raison. Il dit explicitement les choses : c'est encore une raison. Il s'élève contre cette espèce de gangrène sociétale qu'est la fausse religiosité appelée, dans son pays, islamisme, salafisme mais qu'on pourrait décliner dans d'autres pays sous d'autres noms : c'est encore une raison. Il aime jusqu'au désespoir les héros qu'il met en scène et fait partager au lecteur son empathie : c'est certainement la raison la plus importante de mon intérêt pour cet écrivain.

Peu de livres m'ont déçu : c'est un auteur qui figure évidemment dans mon Top 10. Il sera d'ailleurs le seul auteur contemporain à y figurer. C'est "Ce que doit le jour à la nuit" qui représentera Yasmina Khadra dans ce classement.

Ce que le roman met en scène, c'est une tranche de la vie d'un homme, Younes, dont on suit le destin des années 1930 à nos jours. Younes est un témoin - privilégié - d'évènements malheureux et heureux (sa jeunesse à Jenane Jato puis à Rio Salado), d'évènements tragiques (le processus de la décolonisation) que le héros raconte d'une manière complètement dépassionnée mais absolument lucide.
Yasmina Khadra a su démêler un à un les fils très complexes des relations des gens qui se côtoyaient pendant toutes ces années parfois sans se voir.

Je ne peux oublier le personnage du père de Younes contre qui le sort s'acharne ni leur dernière et effroyable rencontre. Après, confié à son oncle pharmacien marié à une chrétienne, il est sauvé de la misère et apprend la tolérance. Ses meilleurs amis seront chrétiens et juifs. Le groupe de copains "à la vie et à la mort" est un délicat équilibre de caractères entre celui franchement colonialiste, celui qui est riche ou celui qui est pauvre, celui qui est instruit et celui qui est ignare. C'est le privilège de la jeunesse de savoir oublier les différences et d'aller au-delà, privilège que la vie et les éléments extérieurs se chargent malheureusement de rappeler trop vite.

D'ailleurs tout le livre est un immense hymne à la tolérance et à la place essentielle des femmes dans la société à l'heure où l'islamisme cherche au contraire à les escamoter. Il est intéressant de suivre l'itinéraire très significatif d'un héros très secondaire du roman, Jelloul, serviteur brimé parfois odieusement par son employeur, qui s'engagera dans le FLN puis deviendra officier dans la jeune armée algérienne pour y faire carrière. Il mourra assassiné par des islamistes qui remettent en cause les principes défendus, par le sang, lors de la guerre de libération (ou de décolonisation).
Quant au héros lui-même, Younes, il est tellement respectueux des autres, des coutumes ou des tabous qu'il n'ose braver les interdits (qui ne sont pas si interdits que ça) et passera, peut-être à côté d'une autre belle histoire. Mais ça, à vrai dire, ce n'est pas si sûr.

Quand j'ai eu en main ce livre, il est peu de dire que j'ai eu du mal à le lâcher avant la fin. Il est juste bouleversant. Il est puissamment humaniste. C'est un vibrant appel à la réconciliation.
Mais si vous pensez qu'il s'agit d'un brûlot politique anticolonialiste, alors passez votre chemin. Yasmina Khadra n'accuse pas et ne critique pas. Il évoque. La formidable empathie qu'il dégage à travers les personnages l'empêche de salir leur mémoire. Il suffit d'aller chercher ce qu'il peut y avoir de bien en chaque homme. Le lecteur apprécie et se fait son idée.