Si je dois résumer ma lecture de Célèbre, ce qui me semble être le but de ce que l’on fait ici, je dirais que j’en sors perplexe. J’avais adoré Mon Mari, le premier roman de Maud Ventura paru en 2021, dont je garde un souvenir assez ébloui de construction romanesque et d’humour. Peut-être que trop réussir son premier roman place la barre trop haute pour le deuxième.
Après l’amour et le mariage, l’autrice s’attaque à un autre gros morceau de notre société contemporaine : la célébrité et le star-system. Elle nous glisse dans la peau et la psyché de Cléo Louvent, fille unique d’universitaires rêvant depuis ses 4 ans d’être célèbre ; et en l’occurrence, plus que Céline Dion (excusez du peu). Ici réside la grande force du roman, ou en tous cas de l’autrice : sa capacité d’analyse. On ne sait pas qui elle a pris pour modèle, si modèle unique il y a, car on sent qu’elle a disséqué les carrières (y compris au sens sociologique beckérien de « trajectoire » du terme) des stars du moment : Taylor Swift, Billie Eilish, Harry Styles… Tout est crédible, bien vu, assez malin, on se dit « ah oui, c’est vrai », on y croit. Les stratégies identitaires, la construction de la marque de star, le processus, tout fonctionne. Un seul exemple, la typologie des chanteuses du moment, très bien vue : « 1. La pop star brisée par une histoire d’amour médiatisée / 2. L’adolescente rebelle après avoir quitté l’écurie Disney / 3. La parolière prolifique, génie de la musique / 4. La performeuse et danseuse, bête de scène / 5. La diva glamour à grande voix » (p. 67).
Pourtant, quelque chose ne fonctionne pas dans cette écriture trop lisse, trop contrôlée, retenue. Les pages se tournent toutes seules et on ressent même une forme d’addiction, alors qu’on n’est retenu par rien, pas une phrase, pas une formule, pas une trouvaille. Le roman est bien construit, avec un retournement final dont Maud Ventura semble avoir le secret : le problème, à mon avis, réside bien dans le style.
Peut-être qu’au fond, ce qu’il manque, l’étincelle de littérature que j’ai cherchée avidement pendant ma lecture, c’est la réponse à la question que l’on se pose après avoir admiré cette description très fine et étayée de ce que le désir fou et irrationnel de célébrité fait aux individus : pourquoi ? Pourquoi Cléo veut-elle être célèbre ? Pourquoi quiconque le voudrait ? Ou plutôt, quelles sont les structures sociales et processus historiques en cours qui nous mènent à chercher cette distinction absolue, l’absolution du capitalisme ? On ne sait pas. Le roman n’est certes pas le lieu de la théorie et de la démonstration, mais cette sensation de manque que l’on ressent en refermant le livre montre qu’il y a un vide, un impensé. Comme si le sujet débordait du roman et en prenait possession. Comme si la littérature avait cherché à s’attaquer à un des avatars de notre modernité capitaliste, et qu’elle avait perdu sur tous les tableaux.