Depuis que je travaille, c'est dans les transports en commun que je lis le plus. Si cela permet de tuer agréablement les vingt minutes qui me séparent de mon boulot, ce n’est pas, honnêtement, le coin parfait pour réfléchir ou s’évader, selon ses lectures. Entre l'usager grincheux qui vocifère contre le chauffeur pour qu'il ouvre les portes, et les élèves qui, petit à petit, déboulent et s’en vont me demander si le CDI sera ouvert en première heure de la matinée, il m’est bien difficile de m’adonner complètement à ce que je suis en train de lire.


Mais en lisant Cent ans de solitude, je me suis sentie affranchie de tout ce qui avait trait à l’espace-temps. Loin de la trivialité des transports en commun, j'étais transportée dans le village de Macondo, entourée de José Arcadio et d’Aureliano à perte de vue. Durant vingt minutes qui s’égrenaient comme des millièmes de seconde, je vivais des décennies.


Macondo n’existe pas. Elle n’est qu’un mirage qui ne doit sa réalité qu’aux quelques quatre cent cinquante pages rédigées par Garcia Marquez. Erigée par la troupe de José Arcadio Buendia, elle connaîtra ses heures de gloire, puis celles de sa chute, calée sur la vie de son père fondateur et de sa descendance. Si Macondo existe, ce n’est bien qu’à travers la formidable dynastie des Buendia, qu’on essaie de suivre de manière logique. Mais perdu dans l’enchevêtrement de José Arcadio, d’Aureliano, d’Amaranta ou de Remedios, force est de constater que nos manières de penser n’ont pas lieu d’être ici. Après tout, pourquoi essayer de définir ces personnages ? Le temps a beau s’écouler, l’histoire se répète inlassablement. Et qu’importe qui est le grand-père, la tante ou la bisaïeule de tel enfant Buendia. Ils ont beau être une famille, chacun n’est qu’une individualité qui se définit par sa propre obsession.


Aussi illusoire soit ce village sud-américain, c’est à travers celui-ci et les Buendia qu’on assiste à l’histoire de cette région du monde, marquée par les guerres civiles, l’invasion du capitalisme, les grèves réprimées dans l’horreur et le sang… Mais à ces dures réalités s’ajoute le sublime. Le sublime surnaturel dans lequel baigne Macondo avec ses fantômes, ses ascensions divines ou encore sa fin apocalyptique, mais surtout le sublime de la plume de Gabriel Garcia Marquez, qui mêle la narration du conteur avec le langage du poète. La traduction à ce titre est délicieuse, la version originale ne doit être que plus exquise.


Je peine à trouver les mots pour mettre fin à cette critique. Comme le temps dans le roman, je risque de me répéter. Et n'ayant pas le talent de notre compère colombien, je ne peux pas m'éterniser en radotant sur le fait que ce livre est splendide à tout point de vue et que, plus que d'être lu, il se doit d'être vécu.

Nolwenn-Allison
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Reading Challenge 2016 et Le cercle littéraire des critiqueurs en mousse des bois

Créée

le 30 avr. 2016

Critique lue 445 fois

7 j'aime

7 commentaires

Nolwenn-Allison

Écrit par

Critique lue 445 fois

7
7

D'autres avis sur Cent ans de solitude

Cent ans de solitude
JZD
10

La Malédiction Buendia et l'avènement de la poussière.

Ce soir, V. m'a dit : "J'ai pensé à toi jeudi justement. Un mec avait piétiné et arraché des pages de Cent ans de solitude sur le parvis de la préfecture de Cergy. J'ai reconnu le perroquet sous la...

le 7 juil. 2012

65 j'aime

21

Cent ans de solitude
Babalou
10

"C'est comme si le monde faisait des tours sur lui-même"

Quel livre extraordinairement peuplé ! Outre les personnages, hauts en couleur et franchement inoubliables, on y trouve aussi leurs relations incroyables, les légendes du village, les croyances...

le 12 févr. 2011

49 j'aime

15

Cent ans de solitude
Topinambour
5

Critique de Cent ans de solitude par Topinambour

Après 50 pages, j’étais emballé. L’histoire de la fondation de Macondo, cité d’un pays sud-américain jamais cité mais apparenté à la Colombie, de la dynastie Buendia sur fond de guerre, de...

le 15 sept. 2013

39 j'aime

5

Du même critique

House of Cards
Nolwenn-Allison
9

I have no patience for useless things...

...Et cette série est bien loin d'être une perte de temps, étant donné ce que les 13 épisodes de la 1ère saison nous offrent ! Que ce soit la mise en scène, les relations entre les personnages ou la...

le 5 juin 2013

77 j'aime

18

Rectify
Nolwenn-Allison
9

Comment faire une série sublime en 6 épisodes

Rectify, c'est l'histoire d'un type, Daniel Holden, accusé et condamné pour le viol et le meurtre de sa petite amie. Emprisonné à 18 ans, il n'est relâché que 19 ans plus tard. Et ce laps de temps...

le 14 août 2013

66 j'aime

4

Vice-versa
Nolwenn-Allison
10

Bonjour Tristesse

Tout comme Riley et les autres personnages de Vice Versa, j'ai des émotions qui règnent en maître dans ma tête. Et Pixar, en veule studio qu'il est, les flatte sans cesse, ce depuis mon tout jeune...

le 29 juin 2015

48 j'aime

7