Le roman raconte une histoire assez méconnue. C’est celle des japonaises qui ont quitté leur pays au depuis des années vingts pour aller épouser aux États-Unis des compatriotes. Ce sont des femmes très jeunes. Elles partent avec des rêves, des espoirs et des lettres pleines de fausses promesses. Là-bas c’est la désillusion. Elles mènent une vie en marge du rêve américain et subissent le mépris des blancs.
Si nos maris nous avaient dit la vérité dans leurs lettres – qu’ils n’étaient pas négociants en soieries mais cueillaient des fruits, qu’ils ne vivaient pas dans des vastes demeures aux pièces nombreuses mais dans des tentes, des granges, voire des champs, à la belle étoile – jamais nous ne serions venues en Amérique accomplir une besogne qu’aucun Américain qui se respecte n’eût acceptée.
Il s’agit d’un roman choral au sens propre, un texte porté par un chœur de femme. Tout au long du récit le pronom « nous » est utilisé et donne une très grande force au texte. A travers le « nous » c’est une infinité d’itinéraire qui s’expriment dans leurs différences mais aussi dans leurs points communs. Une multitude d’expériences individuelles sont racontées sans qu’il n’y ait un personnage principal. L’écriture est prodigieuse car elle réussit à nous donner l’image d’une foule faite d’une multitude d’individualité bien distincte. L’émotion survient au fil de cette litanie de destin et nous embarque sans que l’autrice n’est jamais recourt au pathos.
Nous nous demandions si nous n’avions pas fait une bêtise en venant nous installer sur une terre si violente et hostile. Existe-t-il tribu plus sauvage que les Américains ?
L’Amérique n’est jamais tendre avec les migrants et les japonais ne font pas exception. Les héroïnes nous racontent leur traversée de l’océan, leur rencontre avec leur maris et leur première nuit. Les japonaises rejoignent directement leur hommes dans les champs de Californie ou intègrent de grandes maisons bourgeoises comme servantes. On assiste à la naissance de leurs enfants qui deviendront des adolescents tiraillés entre deux cultures. Elles les regardent grandir, se chercher et devenir parfois honteux de leurs parents. Elles nous racontent aussi leurs rapports avec les américains, le racisme qu’elles subissent et leurs difficultés à s’intégrer.
Le roman commence dans les années vingts et se termine alors que démarre la seconde guerre mondiale. Les États-Unis subissent un attaque surprise menée par les forces militaires japonaises à Pearl Harbor. A partir de ce moment tout les japonais présents sur le sol américain sont regardés avec méfiance. Leur vie bascule et l’inquiétude s’installe. Les femmes nous racontent les rumeurs et l’angoisse qui monte. Puis, c’est le jour du départ. Le gouvernement donne ordre de déporter tout les américains d’origine japonaise résidant le long de la côte ouest. Des camps sont installés où prés de 110 000 personnes seront emprisonnés jusqu’à la fin de la guerre. J’ignorais complétement cet aspect de la second guerre mondiale et j’ai été effarée en le découvrant. Ces familles, qui parfois avaient réussis à acquérir une ferme ou une boutique au prix de lourd effort, ont dut tout abandonner du jour au lendemain.
Quand les japonais sont partis le « nous » change de voix. Ce sont les blancs qui nous parlent de l’après, de leurs lâchetés et leurs regrets.
Un jour, nous partirons… Mais en attendant, nous resterions en Amérique, à travailler pour eux, car dans nous, que feraient ils? Qui ramasserait les fraises dans les champs? Qui laverait leurs carottes? Qui récurerait leurs casseroles? Qui pleurerait pour eux? Alors, nous repliions nos kimonos pour les ranger dans nos malles, et ne plus les ressortir avant de longues années…
C’est un texte à l’écriture prodigieuse et qui rend un hommage fort à des femmes au destin si tumultueux. A découvrir, si ce n’est déjà fait !