Magda quitte l'opéra où elle a assisté pour la dernière fois à un concert philharmonique. Il est temps pour elle de rejoindre son mari, ses enfants et Hitler dans ce bunker qui sera leur tombeau. Pendant ce temps, des centaines d'hommes et de femmes sont jetés sur les routes pour une marche qui sera pour beaucoup leur dernière. Parmi eux, il y a une enfant muette et mystérieuse, Ava. Elle détient un rouleau de cuir contenant les lettres d'une père à sa fille. Ce père, c'est Richard Friedlander et la fille, c'est Magda Goebbels.



Ce bâtiment est un monstre d’orgueil. Un bloc. Marbreux. Écrasant. Pensé pour réduire chacun de ses visiteurs. Pour accéder au bureau du chancelier, il faut emprunter une galerie deux fois plus longue que la galerie des Glaces, à Versailles. Son sol est en marbre poli, luisant, dépourvu du moindre tapis, de la moindre aspérité afin de rappeler aux visiteurs que tout équilibre reste instable, que le sol peut toujours se dérober sous les pieds du plus fort. Cette nouvelle chancellerie a été la grande œuvre de son bon ami Speer. Construite pour surpasser Notre-Dame de Paris, faire la nique à la belle cathédrale, et durer plus de mille ans. Elle se retrouve, désormais, sous le feu continu de la moitié des armées du monde, bien décidées à réduire en charpie le rêve de Speer et de son maître.



Sebastien Spitzer nous parle d'une guerre, sur laquelle on a déjà beaucoup lu mais, de manière très différente et en pointant des éléments peu connus. L'écriture est forte, elle porte l'histoire et montre l'urgence à effacer les preuves ou à survivre. Les phrases sont courtes, percutantes. Elles disent l'affolement, la peur, la fin.


Au milieu du chaos, Magda semble imperturbable. Placide, résignée, elle assiste à la chute de ce rêve, de cet édifice mortifère qui devait durer mille ans. Au sein du bunker, on assiste à la fin des bourreaux dans une ambiance complétement surréaliste. Le dernier cercle d'Hitler tentent de faire semblant alors que leurs ambitions se délitent. Le temps et l'espace se restreignent, ils sont figés dans un calme trompeur. Protégé par les murs de béton, ils n'entendent que l'écho des obus mais devinent le chaos en surface.



Au fond de ce couloir parcouru par les rats, les spasmes des bombes d'en haut, l'humidité, l'odeur des chiens qui défèquent partout, Adolf a le charisme d'un grabataire sénile. Il ne fait même plus danser Eva pour lui.
Ce diable boiteux de Joseph, son âme damnée, sec et cerné, se traîne dans son sillage. Même enfoui dans ce réduit, il demeure tout à son maître, servile dépendant, obséquieux. Un vrai laquais. Il repart sans un regard pour sa femme. Ils font bunker à part. Sans Adolf, il serait sans pitié. Pour elle. Pour leurs enfants. Leur couple est un échiquier en fin de partie. La reine est nue et ne fait plus envie. Il a bien tué son aide de camp. Un mort de plus pour rien. Il ne savait rien d'elle, pourtant.



A l’extérieur, on rencontre divers prisonniers. Certains sont résignés à mourir et d'autres sont cramponnés à leur dernier souffle de vie. Ils traversent la campagne et dévoilent leur souffrance aux paysans alentour terrorisés. Craignant pour leur propre vie, ses derniers ferment leurs portes et aident même à la traque des fuyards. Partout, c’est la panique. On assiste également à l'arrivée des soldats américains qui découvrent les charniers avec effroi.


Il y a aussi les histoires que raconte les prisonniers. On apprend l'existence de bordels au sein des camps de concentration et de la terrible mine du camp de Doras qui avalent les hommes. On découvre l'existence d'enfant nés au sein du système concentrationnaire et qui furent presque tous tués à la naissance. On apprend aussi les origines de Madga, une tache dans son image d'aryenne parfaite. Ce sont des éléments plus secrets, moins traités en littérature. L'auteur s’appuie sur des écrits de chercheurs et a un grand soucis de justesse historique dans son propos.


C'est un livre poignant, maitrisé et qui met en lumière des éléments de la seconde guerre mondiale assez méconnus. S'attaquer à un sujet aussi lourd pour un premier roman est audacieux et l'auteur le fait brillamment. J'ai hâte de découvrir son nouveau roman qui est paru en septembre dernier.



Reste la nuit. Épaisse. Lourde. Vide à tous ceux qui ont peur, à ceux qui désespèrent, se trompent. Cette nuit est aussi pleine que les autres. Féconde. Mystérieuse. Imprévisible. Elle s’est insinuée de l’autre côté des murs. L’heure des souffles de vie. L’heure des silences.


Anaïs_Alexandre
9

Créée

le 4 janv. 2020

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