Cette chose étrange en moi, de par sa longueur et sa densité, fait partie de ces romans-fleuves qui nécessitent un temps d'adaptation avec sa foultitude de personnages et ses multiples intrigues. C'est aussi et surtout le livre d'une ville, pendant un quasi demi-siècle, Istanbul, si chère au prix Nobel Orhan Pamuk. Une cité en pleine mutation dont la population ne cesse de croître au fil des années alors que les us et coutumes séculaires cèdent progressivement le pas à une modernité moins chaleureuse. Le héros du roman, Mevlut, que l'on suit depuis son enfance, vient d'Anatolie et accompagne son père dès son plus jeune âge dans les rues d'Istanbul. Lui aussi sera vendeur de rue, de yaourt puis de boza, cette boisson fermentée qui a le goût désuet de l'empire ottoman. A travers Mevlut, homme modeste, honnête, optimiste, fidèle, candide et un peu craintif, l'auteur rend hommage au petit peuple de sa ville. Et décrit une existence en marge de l'histoire contemporaine de la Turquie mais qui en ressent les contrecoups sociaux. Mevlut est le fil conducteur de Cette chose étrange en moi, dans un récit foisonnant qui fourmille d'événements sentimentaux, familiaux, immobiliers, ... Un héros droit dans ses bottes dont la femme de sa vie, qu'il a enlevé selon une tradition locale bien établie, n'est pas celle qui l'avait séduit. Ce quiproquo initial permet au roman de rebondir à plusieurs reprises, au fil du passage du temps. Très souvent, Pamuk donne la parole à d'autres protagonistes proches de Mevlut, ce qui enrichit encore le livre et lui donne un caractère polyphonique. Fresque ouvragée, colorée et riche en détails et en menues anecdotes, Cette chose étrange en moi est de ces livres qui ne peuvent se lire que lentement et dont est contraint se déprendre avec une sorte de tristesse nostalgique.