Quoi de nouveau dans ce cinquième récit autobiographique d’Edouard Louis ? C’est toujours, on le sait, la même histoire : l’enfance humiliée, la rage et le désir de revanche qui pousse à se construire une autre identité ailleurs, les réconciliations tardives, forcément paradoxales et encombrées, avec une famille qui n’a jamais vraiment compris celui dont elle a provoqué la fuite. Mais Changer : méthode présente enfin un segment fondamental dans ce parcours, jusqu’alors toujours évacué : la période qui, des premiers cours de théâtre jusqu’à la fréquentation des milieux intellectuels parisiens en passant par le lycée et les premiers contacts avec la petite bourgeoisie à Amiens, est celle pour Édouard Louis du changement, de la transformation méthodique de soi - dans tous ses paramètres : apprentissage forcené des références qui manquent, changement des postures, de l’accent, du nom, de certains traits physiques…
Il y a dans Changer : méthode comme une réponse à toutes les maladresses et les zones de flou qu’on pouvait déceler dans certains précédents récits d’Edouard Louis. Enfin au centre du récit, enfin agent de son histoire (et non victime, comme dans ses deux premiers récits, ou spectateur plus ou moins dissimulé derrière les figures parentales, comme les deux suivants), Louis se révèle autrement, dévoilant ce qui, dans le parcours de transfuge, relève aussi de la brutalité - sur soi, quand la part active du changement exige de se faire violence, de détruire sciemment ce qu’on a été ; sur les autres, même les plus bienveillants comme l’amie de lycée Elena, très belle figure émancipatrice qui doit néanmoins se résoudre à laisser Eddy/Édouard poursuivre sa route sans elle. Les émotions, comme toujours chez Louis, sont intenses, mais sous-tendues par un recul analytique impitoyable, toujours plus précis, sur cette part plus difficile à confesser du parcours, motivé par la rage et le désir de vengeance.