Après le premier vrai succès de « Tailleur pour Dames », Feydeau a du mal à retrouver son public : les pièces qui suivent sont vite retirées de l’affiche. « Chat en poche » montre que Feydeau, sans doute surpris par le succès de « Tailleur pour Dames », n’en a pas tiré toutes les conclusions qui s’imposaient pour travailler ses méthodes d’écriture.
De fait, « Chat en poche » ne permet pas de retrouver la mécanique hilarante des situations qui faisait plier de rire les spectateurs de « Tailleur pour dames ». Déjà, le comique repose essentiellement sur un quiproquo majeur (Pacarel cherche un ténor pour faire représenter l’opéra écrit par sa fille, et, bien entendu, ce n’est pas du tout un ténor qui se présente, d’où le titre de la pièce : « acheter chat en poche », c’est acheter quelque chose sans l’avoir examiné au préalable), compliqué de nombreux quiproquos mineurs.
D’autre part, l’argument relègue au second plan les mini-intrigues sentimentales et conjugales, qui se multiplient pourtant, mais avec une telle versatilité que le spectateur n’y croit pas. Dufausset, l’hôte que Pacarel prend pour un ténor, s’éprend à volonté de l’une ou l’autre femme de la maison (ce qui ne fait pas très sérieux quand tout ceci est censé se terminer par un mariage), et, pire, se méprend sur l’identité du conjoint de chaque femme, sur les intentions des femmes, sur celles du conjoint...
L’absurdité des situations est si poussée, la loufoquerie des réactions des uns et des autres est si imprévisible, qu’on a l’impression d’avoir affaire, au fil des dialogues nerveux, sarcastiques ou faussement naïfs, à une bande de cinglés qui s’amusent sans cesse, sans qu’aucun d’entre les personnages ne jouisse des quelques grammes de bon sens qui ficheraient en l’air l’arbitraire et les ridicules dont la pièce est cousue. On ne saurait prendre au sérieux des personnages qui changent d’avis comme de chemise (plus souvent, en fait), et qui gobent sans sourciller les affirmations les plus aberrantes. A bon droit, le spectateur peut se désintéresser de tels personnages, qui semblent si peu réels qu’il ne peut vraiment pas s’identifier un peu à eux.
Exemple de ces loufoqueries suscitant l’incrédulité plus qu’autre chose ? Dufausset, dans un message à l’une des femmes de la maison, lui demande rendez-vous dans une serre ; si elle est d’accord, elle devra faire chanter par son mari « Colimaçon borgne » ou « Coucou ! Ah ! Le voilà ! », deux comptines pour les enfants en très bas âge. (Pourquoi par son mari, qui est le premier à devoir rester dans l’ignorance ? Pourquoi des signaux aussi insolites ?) ; de surcroît, la femme devra indiquer l’heure du rendez-vous par le nombre de raies qu’elle tracera dans le dos de son mari... Sauf qu’en plus, ce message va passer entre les mains de deux femmes mariées différentes...
Les drôleries, contenues dans les dialogues, sont également plus ou moins arbitraires : en dehors des allusions plus ou moins perfides à l’âge de certaines femmes ou à leur tour de taille, un personnage est assez stupide pour tourner sa langue dans sa bouche sept fois (pour de bon) avant chacune de ses répliques ; et qui peut croire à l’ovation délirante par laquelle la famille Pacarel accueille le faux ténor, de même qu’au contrat royal par lequel Pacarel s’en attache les services ?
Les allusions de la pièce montrent le prestige et la popularité dont bénéficiaient les opéras de l’époque, ainsi que la possession d’un piano à domicile pour divertir les invités ; mais également la mode de la « névrose » (Freud n’est plus très loin)...
La pièce est donc drôle essentiellement par ses dialogues ; mais, comme ceux-ci sautent d’une absurdité à l’autre, aucun fil directeur de l’intrigue ne permet vraiment l’identification du spectateur à tel ou tel personnage. Il faut voir avec quelle promptitude, à la fin de la pièce, un mariage est arrangé entre deux personnages qui ne faisaient même pas attention l’un à l’autre dans la scène précédente !