!!! possibles spoilers !!!
Véritable phénomène de la rentrée littéraire, Cher connard est critiqué partout, pour son titre, pour sa comparaison entre les féminicides et le meurtre de patrons au travail, pour le retour tant attendu de Virginie Despentes depuis Vernon Subutex. Mais aussi, et c'est là qu'on commence à en avoir marre, pour ce "bilan post-me too", pour ce livre "post covid", pour ce nouveau "cru féministe et révolutionnaire". Bien, mais si l'on parlait de l'histoire, du fond de Cher connard, et donc nécessairement de sa forme ?
Parce qu'il y a de quoi être surpris quand on suit un peu l'autrice : le roman, sous forme d'échanges (mails ou lettres, textes publiés sur Internet), au-delà de raconter ce qu'il se passe quand une ex-attachée de presse publie sur Internet le call out d'un auteur pour qui elle a travaillé, se concentre à désamorcer nombre de postures rock que l'on pensait retrouver. Ici, pas de gloire à la drogue, à la rage et la haine, à la radicalité qui ne ferait pas attention à ce qu'il se passe autour. Le summum de cette étrangeté concentre une grande partie du livre : des échanges et réflexions entre Oscar et Rebecca à propos des NA (narco anonymes), du bien que les séances provoquent.
Si cette partie est celle qui intéresse le moins au final, elle a le mérite de poser un ton et une atmosphère que l'on retrouvera jusqu'à la fin. Et c'est ainsi qu'on en vient au coeur du sujet : que faire une fois que Zoé a publié ses dénonciations sur les réseaux sociaux ? D'abord, qui devrait faire quelque chose, après que Zoé ait fait cela ? Naturellement, les yeux se tournent vers Oscar, et c'est ce naturel qu'on pointe du doigt, Oscar le fera lui-même dans un premier temps, remarquant qu'il se met encore une fois au centre de l'équation quand il devrait juste se taire et se faire oublier, mais ce sera sous le regard de Rebacca, actrice célèbre qu'il connaît depuis l'enfance et avec qui il n'a rien en commun, mais aussi de sa soeur, Corinne. C'est bizarre cette évolution, d'aller vers quelque chose de posé, de serein, vers une espèce d'apaisement à avoir constaté que les choses sont telles qu'elles sont, qu'il n'y a pas de recette miracle et aucun bilan post me too à tirer en fait, que Zoé a juste à se reconstruire tant bien que mal, que Oscar à juste à se taire, apprendre, et vivre avec cette culpabilité, et c'est tout. Et Rebecca qui le détestait, elle le rencontrera peut-être, c'est comme ça, il est un connard, devient un peu moins connard, et... c'est encore tout.
D'une certaine manière, c'est intéressant, car le véritable ton révolutionnaire et rock n roll, à suivre Virginie Despentes, ce serait donc d'aller à des réunions, d'arrêter de prendre de la drogue, de faire avec ce qu'on a autour de nous, et faire comme on peut, même si les relations sont complètement niquées dès le début. Ce geste que fait l'autrice, ce n'est pas tant du dégonflement ou de la "prise en maturité" comme si elle était nunuche et qu'elle se rendait compte qu'elle était vulgaire et radicale ; je vois plutôt ça comme une autre façon de voir la situation, tout à fait complémentaire de ses autres livres (si elle place de sa personne dans chaque personnage, il y a donc de la radicalité de Zoé en elle, ça n'a pas disparu), cette fois tournée vers la préoccupation de ses sentiments une fois le fléau des accusations publiées.
Il reste de nombreuses choses que je ne m'explique pas dans ce livre, à commencer par la forme épistolaire, qui allourdit beaucoup trop certains passages, comme ceux sur les séances aux NA, puis qui rend si peu crédible la création d'une relation entre Rebecca et Oscar. Le développement du passé de frère et soeur entre Oscar et Corinne, la brève relation homosexuelle d'Oscar et la relation entre Corinne et sa conjointe dont j'ai oublié le nom, je ne comprends pas vraiment ce qu'ils étaient supposés amener.
Bref, c'est assez étrange, et au final, je trouve pas si mal la direction que finit par emprunter le livre, qui s'avère bien surprenante, et qui donne l'envie d'aller jusqu'au bout.