Léa de Lonval, belle courtisane qui approche des cinquante ans, est une femme expérimentée et résolue qui sait mener à bien ses affaires. Elle aime à vivre quelques années avec des amants très jeunes dont elle assure parfois l’entretien, toujours la formation. Une formation assez complète : éducation sentimentale, sexuelle, morale, en chemin vers l’homme capable d’aimer et de conduire sa vie. Si au gré des envies et circonstances, un amant laisse place à un autre, cette succession, loin de le corrompre, s’inscrit dans tout le réseau d’habitudes qu’organise la vie de Léa. Ainsi de l’appartement occupé avenue Bugeaud et régi par les fidèles serviteurs de toute une vie, de la chambre étincelante avec ses doux rideaux roses et ses meubles anciens luxueux dont le moindre n’est pas le majestueux lit de cuivre et d’acier forgé. Ainsi également des vieilles relations mondaines, éculées mais conservées : le baron de Berthellemy, la vieille Lili, la baronne de la Berche, enfin et surtout Charlotte Peloux, l’antique rivale dont le fils, surnommé « Chéri », s’apprête à bouleverser la vie de Léa.
Chéri est tout simplement d’une incomparable beauté, capable de faire succomber n’importe quelle femme, mais c’est seulement avec Léa, de vingt-quatre ans son aînée, qu’il partage la plupart de ses jours et de ses nuits depuis près de cinq ans. La formation que lui dispense Léa n’est rien moins que facile tant le caractère du garçon, façonné par une enfance débridée et livrée à elle-même, est devenu méchant. C’est dire si Léa est indifféremment l’amante et la mère, le désir et la sensualité mais aussi la protection et l’autorité. Malgré cela, Léa se repaît de sa beauté inégalée, maintenue qu’elle est dans une satiété qui la rend aveugle à la profondeur de ses propres sentiments. Or voici que Chéri se marie à une belle jeune femme de bonne condition, Edmée, en conséquence de quoi il se sépare de Léa. Celle-ci, habituée aux ruptures avec ses jeunes amants, ne s’attend pas à la puissante douleur qui l’étreint alors. En femme de caractère, dont l’intelligence est doublée de pragmatisme, elle nomme et regarde lucidement son mal puis décide d’agir en quittant Paris. Mais la force du lien qui unit Léa et Chéri sans cesse les rappelle mentalement l’un à l’autre. Chéri finit d’ailleurs par quitter Neuilly et sa femme pour retrouver pendant quelques mois l’errance et les déboires. Lorsque, six mois plus tard, Léa rentre dans son bel appartement, sans avoir trouvé toute la quiétude à laquelle elle aspirait, Chéri ne tarde pas à la retrouver. Par rétroaction de l’assouvissement sur le manque, ces retrouvailles et leur intensité sont la quintessence d’un amour enfin avoué. Cependant, et comme de l’amour le malentendu n’est jamais loin, le sens donné à ce retour n’est pas le même selon l’amant ou l’amante. Celui-ci, un peu perdu, ne voulait semble-t-il que mettre un terme à son obsession, quand celle-là scrutait déjà l’indicateur des chemins de fer en partance d’une vie avec Chéri… Perspicace et connaissant par cœur son Chéri, Léa comprend vite sa bévue. Chéri agit avec trop d’inconséquence pour qu’elle-même, amoureuse, ne finisse par succomber ; aussi lui demande-t-elle de partir sur-le-champ pour ne point revenir.