Après 40 ans de compagnonnage fidèle aux romans de Patrick Modiano, est-il encore possible d'être surpris ? Évidemment, non, eu égard au caractère obsessionnel de l'écrivain et à son style si personnel. Mais cela n'empêche pas d'être séduit, encore et toujours, et admiratif de ces courts textes qui, sans relâche, ressassent un passé nébuleux et convoquent une mémoire forcément sélective de dont des réminiscences hantent le présent, comme un rêve ou un cauchemar récurrent. Mélange de lointains souvenirs personnels de l'auteur et de fiction déjà abordée dans des œuvres précédentes, Chevreuse est un nouvel épisode d'un A la recherche du temps perdu modianesque, plus addictif qu'une série. Dans ce thriller à trous et mélancolique, l'auteur fait une fois de plus merveille dans la description d'une époque révolue et trouble, où l'on compose Auteuil 15.28 dans une cabine téléphonique et où un enfant se retrouve mêlé à un milieu interlope sans bien comprendre les enjeux ni le caractère des personnages douteux qui le composent. Le roman est comme une collection de photos surexposés, de climats parfois paranoïaques, d'inquiétude existentielle et d'hypothèses dignes d'un flou à lier. Et constamment avec cet amour de la topographie, un seul nom de rue pouvant évoquer des souvenirs enfouis. Bref, Chevreuse est un pièce à conviction de plus dans un casier déjà bien fourni en matière de bienfaits commis pour la cause littéraire.