« Ce n’est pas mon métier les formules, explique Luchini, comme pour s’excuser d’écrire un livre. Mais ça fait quarante ans que je cherche. » L’ancien garçon coiffeur devenu comédien, celui qui a interprété les textes de Céline près de 2500 fois en vingt-cinq ans, nous parle un peu de sa vie et de son parcours, et beaucoup de son rapport aux textes et aux grands auteurs – Molière, La Fontaine, Flaubert, Nietzsche, Rimbaud, Valéry, Muray… Ceux qui connaissent un peu le personnage connaissent également ses histoires, celles qu’il a déjà racontées sur tous les plateaux de télévision ou dans son spectacle Le point sur Robert, mais contrairement à ce que l’on craint souvent des hommes de l’oralité, Luchini n’est pas un si mauvais écrivain. Il a bien sûr ses tics de langage – cette ironie un peu pesante autour de la langue de Barthes (le « concept du paillasson », « le concept du vieux mas de Provence »), la récurrence des mots « ahurissant », « ahurissement », « halluciné », « hallucinant »… – mais son écriture, d’inspiration très célinienne, réserve quelques bonnes surprises : « Ça dégage, c’est large, c’est plein de perspectives » écrit-il sur la rue Miromesnil, dans la description très réussie d’une promenade à travers Paris qui le transporte d’une classe sociale à l’autre.
Il fait alterner ses souvenirs avec de brefs extraits de son journal intime de 2015, écrit sur le tournage du film Ma Loute de Bruno Dumont. Ses digressions sont plaisantes : il arrête son récit pour défendre la récitation classique de l’alexandrin, pour disserter sur les vertus de la psychanalyse, pour se rappeler le louchébem des voyous de son enfance à la rue des Abbesses ou pour donner des conseils d’interprétation théâtrale. Lorsqu’il met un point d’honneur à dire du bien d’Alain Badiou, de Hollande, de Besancenot, de Macron ou de Fleur Pellerin, on ne sait jamais si c’est du lard ou du cochon, mais lorsqu’il parle de Julien Dray, il parvient, avec un art consommé du second degré, à nous inspirer le sarcasme tout en le couvrant d’éloges. « J’aurais tant aimé être de gauche, confie-t-il, mais la difficulté pour y arriver me semble un peu au-dessus de mes forces. » Répondant à ceux qui l’accusent de cabotinage, il se présente au contraire comme un simple passeur, un comédien au service des œuvres littéraires qui l’habitent, avec, comme mission et comme récompense, « la jouissance de faire croire que l’écrit, c’est de l’organique : la vie ».