Un livre de Stefan Zweig à lire attentivement et absolument
Ce livre nous raconte l'histoire tourmentée d'un théologien et savant protestant humaniste du nom de Castellion. Oublié des manuels d'histoire officiels, ce précurseur de la tolérance, bien avant Voltaire et d'autres, défendait la liberté de conscience durant les terribles guerres de Religions qui ont traversé l'Europe au XVIième siècle au prix de sa vie, contre le fanatique et théocrate Calvin, responsable de l'instauration d'une dictature religieuse à Genève. Sous le pinceau littéraire de Stefan Zweig, l'auteur nous peint là une magnifique fresque sur l'histoire de cet illustre inconnu qui contre vents et marées aura lutté toute sa vie contre l'injustice du totalitarisme religieux.
Mais le plus surprenant reste l'incroyable modernité de ce texte, et sa pertinence aujourd'hui. L'analogie entre le fanatisme religieux de ce siècle, porté par l'Eglise catholique et les protestants partisans de l'orthodoxie religieuse, et la situation actuelle qui voit l'intégrisme religieux et les extrême-droites s'accroitre est surprenante mais révélatrice de la grandeur d'une œuvre. Les islamistes ont véritablement calqué leur comportement sur celui des fanatiques chrétiens d'avant, usant de menaces ouvertes ou plus sournoises, avant de passer à l'acte (voir Théo Van Gogh) pour faire taire les esprits justes et humanistes . Il est intéressant de comparer à ce titre toutes les similitudes entre le tyran Calvin et les théocrates actuels, qu'il s'agisse de la mauvaise foi ou du double langage, en passant par la censure de tous les avis n'allant dans le sens de son orthodoxie religieuse. Un bon rappel aussi pour les pauvres benêts à la courte mémoire qui ont vraisemblablement oublié les délires et les dégâts commis par la religion chrétienne, et qui permet de rappeler que les premières victimes de l'intégrisme sont généralement les croyants progressistes.
Je remercie ma soeur de me l'avoir offert pour Noël.
Extrait du livre, une piqure de rappel à tous les démocrates laïques les enjoignant à ne jamais perdre leur vigilance et à toujours continuer le combat:
"Jusqu'à ce jour, [l'idée de liberté] a régné sur l'Europe sans que personne cherchât à la discuter. Les droits de l'homme paraissaient sceller dans les fondements de l'Etat ce qu'il y avait de plus intangible, de plus sacré dans une Constitution. Nous croyions déjà disparu de la contrainte des idées, de la tyrannie religieuse et de la censure des opinions ; nous pensions que le droit de l'individu à l'indépendance morale était aussi absolu que celui de disposer de son corps. Mais l'histoire n'est qu'un perpétuel recommencement, une suite de victoires et de défaites ; un droit n'est jamais conquis définitivement ni aucune liberté à l'abri de la violence, qui prend chaque fois une forme différente. C'est justement au moment où la liberté nous fait l'effet d'une habitude et non plus d'un bien sacré qu'une volonté mystérieuse surgit des ténèbres de l'instinct pour la violenter ; c'est toujours lorsque les hommes jouissent trop longtemps et avec trop d'insouciance de la paix qu'ils sont pris de la funeste envie de connaître la griserie de la force et du désir criminel de se battre. Car, dans sa marche vers son but invisible, l'histoire nous oblige de temps en temps à d'incompréhensibles reculs, et les forteresses héréditaires du droit s'écroulent comme les jetées et les digues les plus solides pendant une tempête ; en ces sinistres heures, l'humanité semble retourner à la fureur sanglante de la horde et la passivité servile du troupeau. Mais après la marée, les flots se retirent; les despotismes vieillissent vite et meurent non moins vite ; les idéologies et leurs victoires passagères prennent fin avec leur époque : seule l'idée de liberté spirituelle, idée suprême que rien ne peut détruire, remonte toujours à la surface parce que éternelle comme l'esprit. Si on la traque momentanément elle se réfugie au plus profond de la conscience, à l'abri de l'oppression. C'est en vain que l'autorité pense avoir vaincu la pensée libre parce qu'elle l'a enchaînée. Avec chaque individu nouveau naît une conscience nouvelle, et il y en aura toujours une pour se souvenir de son devoir moral et reprendre la lutte en faveur des droits inaliénables de l'homme et de l'humanité ; il se trouvera toujours un Castellion pour s'insurger contre un Calvin et pour défendre l'indépendance souveraine des opinions contre toutes les formes de la violence.
Avril 1936"
P.S. : Coïncidence? Zweig écrivit ce texte en pleine remontée du fascisme...
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