La plume est alerte, la langue est riche, comme toujours est-on tenté d'ajouter quand on se penche sur un ouvrage de Stéphane Zweig. Le propos, quant à lui, est résumé dans le titre, la conscience étant ici incarnée par Sébastien Castellion, savant humaniste s'opposant par le verbe à la violence du grand Jean Calvin, leader de la Réforme protestante qui secoua l'Europe de ce siècle.
Zweig nous plonge donc dans un conflit aux bases théologiques, mais dont l'enjeu n'est rien d'autre que la liberté de penser, menacée (et même franchement massacrée) par la théocratie que Calvin installe à Genève au début du 16ème. S'appuyant sur les lettres et publications des deux hommes et de certains de leurs proches contemporains, l'auteur s'attache à démontrer la supériorité morale de la tolérance et de l'humanisme sur le dogme et la terreur. C'est éloquent, érudit et évidemment intemporel puisque les dictatures et les despotes ne manquent pas dans notre histoire ou notre actualité.
Pourtant, malgré toutes ces qualités, magnifiées par l'écho particulier que donnent à l'ouvrage les circonstances de sa rédaction (le nazisme triomphe en Allemagne), difficile de classer cette oeuvre au rang des classiques de son auteur.
En effet, l'opposition entre Castellion et Calvin nous est dépeinte avec une absence de nuances qui frise la manipulation. L'humaniste y est noble, digne, son calme est séraphique face aux attaques et manipulations de son adversaire. Bref, Zweig force un peu sur l'épithète laudatif. A l'inverse, Calvin est un tyran sanguinaire, certes intelligent, mais manipulateur, lâche, grossier et sujet aux plus noirs emportements (alors que tout le monde sait que c'est un petit garçon qui fait des bonhommes de neige).
Il y a sûrement du vrai dans cette peinture quasi-allégorique de l'opposition des deux hommes, mais à trop accabler l'un et trop glorifier l'autre, l'auteur finit par nuire à sa démonstration.
Oui, bien sûr, la conscience prime sur la violence, et oui, bien sûr, celui qui se lève contre la tyrannie mérite nos louanges et la postérité. Cela vaut d'être dit, redit, et plus encore. Mais à trop simplifier un problème pourtant millénaire, on finit par tomber dans ce que l'on dénonce : encourager le dogme plutôt que s'en remettre à la conscience de son lecteur.