Conscience contre violence est l’interprétation historique de Stefan Zweig sur le conflit opposant àdans la Genève du XVIe le chef de la ville Jean Calvin à Sébastien Castellione, intellectuel qui a osé défié le maître sur le sort réservé à Michel Servet, un mystique aux idées plus révolutionnaires encore que celles de Calvin et qui à ce titre a été reconnu coupable d’hérésie et brûlé à Genève (il reniait en particulier la trinité, considérant que ce dogme était une invention papale comme l’immaculée conception). Cet événement est bien sûr l’occasion pour Zweig, qui publie ce récit en 1936, de dénoncer la tournure dictatoriale pure de l’Allemagne nazie. A un Calvin imposant au peuple sa vision du monde par la force - et qui à certaines pages prend les accents du petit autrichien colérique -, on oppose l’autre vision de la Réforme, l’humanisme de Castellion, qui s’oppose à la tyrannie au nom de la liberté de conscience.
Comme toujours chez Zweig, l’histoire est romancée, le rythme est intense, et on a plutôt le sentiment de lire une fiction qu’une austère biographie. Je verrais bien une mini-série historique en 5-6 épisodes sur le sujet tirée de ce livre, d’ailleurs. Autre qualité “zweigienne” bien présente dans ce livre : la description psychologique, ici d’un Calvin bourreau de travail, dont la vue est entièrement dédiée à la tâche d’une rééducation morale et spirituelle de ses ouailles genevoises, est brillamment réalisée. Le plus curieux est la différence de personnalité constatée entre le Calvin civil courtois et affable (rarement vu, certes) et le Calvin chef sprituel, vindicatif et sans pitié. Quant à la description sans doute idéalisée d’un Castellion pur et digne, on devine que c’est pour les besoins d’un drama qu’il fallait mettre sur un pied d’égalité les deux adversaires.
La toute fin du livre est un formidable plaidoyer humaniste, mais montre déjà le pessimisme profond de Zweig vis à vis de la capacité de sa vision du monde humaniste à s’imposer face à la violence politique, pessimisme qui le poussera à se suicider en 1942.