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Arrive  toujours le moment où l'on se trouve dépassé, débordé, et où l'on  se repasse le film de sa vie en boucle. Quand donc avons-nous fait le mauvais choix ? Quel mauvais aiguillage a pu nous faire dérailler ?… et puis c’est bien connu : soit ça passe, soit ça casse. Sybille n’était pas de celles prêtes à se laisser couler en attendant de voir de quel côté pencherait la balance de la fatalité. Non, après une adolescence prometteuse avortée, puis un mariage difficile et un divorce pis encore, elle n’était pas prête à regarder son fils se saboter peu à peu en tombant dans le cercle vicieux et crescendo de la délinquance sans intervenir. Cette femme qui paraissait plus morte que vive, qui se trainait de sa voiture à sa télévision, du cendrier au frigo, va se réveiller. Si elle a compris que l’avenir auquel elle s’était cru destinée est derrière elle, celui de son fils est encore à construire. Et pour lui, elle irait jusqu’au bout du monde.
Ce réveil s’apparente presque à un sursaut de conscience dans lequel elle va vendre sa maison pour pouvoir entraîner Samuel dans une chevauchée de plusieurs mois sur les traces de son identité intérieure, celle qu’il ne se représente pas et, plus important encore, celle qu’il n’a pas à présenter. Ce n’était qu’un enfant décalé qui ne savait pas comment grandir, qui n’avait pas fait les bons choix, alors elle les a fait pour lui, et tant pis si cela signifie « marginalité », et même, presque tant mieux. Il était en perdition, il était devenu haineux, insolent, imprévisible, elle va le remettre en selle en lui révélant la beauté et la puissance du monde. C’est l’occasion pour Sybille de redevenir Mère et pour Samuel, de comprendre qu’il est Fils. Il y a très peu de dialogues, les pensées et les conversations sont habilement relatées comme faisant partie du décor de cette nouvelle relation particulière qui consiste à apprendre celui avec lequel on vit pourtant.
Laurent Mauvignier nous décrit ce duo acharné, tisse la redécouverte de l’intimité capable de voiler la pudeur le temps de se rappeler qu’elle ne signifie pas distance mais bel et bien respect. Publié fin 2016 aux Editions de Minuit, Continuer se scinde en deux parties qui forment le tout qu’attendaient ses lecteurs. Il y a ce moment où Sybille met tout en œuvre pour sauver Samuel, et ce moment où, finalement, c’est Samuel qui sauve Sybille, un peu malgré elle aussi. L’écriture est à la fois douce et abrupte, sensible et violente, sauvage et tourmentée, multiplie les analyses psychologiques et les détails qui font œuvre ici. Elle plonge le lecteur au cœur de la relation que peuvent entretenir une mère et son fils, dans toute la complexité de leur tendresse. Les sentiments sont définis avec pureté et fluidité, pour révéler les mystérieux mécanismes qui tissent parfois les rapports avec l’autre. La question se pose : comment concilier sa part de mère et sa part de femme dans les yeux d’un adolescent ?
Au fin fond de l’Asie centrale, dans les montagnes kirghizes, Laurent Mauvignier peint le tableau sauvage d’une nature un peu rude, qui ne fait pas de cadeaux aux hommes avec laquelle elle cohabite pourtant. Tous les sens sont stimulés, on voit, on entend, on respire le Kirghizistan, la chaleur de son peuple, la noblesse de ses chevaux… Ces animaux deviennent les héroïques acteurs qui rendent possible la cavalcade dans la redécouverte de soi et l’apprentissage de l’ouverture au monde et à ses richesses. Pour Samuel, le jeu est trouble : il le joue sans vraiment s’investir, il l’accepte et s’en accommode, mais il pense à son retour pour apprivoiser sa peur du présent. Finalement, c’est lui qu’il lui faudra finir par accepter, et pourquoi pas, à aimer. Long est le chemin pour devenir un homme, et peut-être comme l’aurait voulu Bowie, Heroes de sa propre vie.

I / I will be king / And you / You will be queen / Though nothing / Will drive them away / We can beat them / Just for one day / We can be Heroes / Just for one day…


« Et puis elle regarde son fils à côté d’elle. Il est allongé, elle s’aperçoit à son souffle très lourd qu’il s’est endormi. Il se repose en chien de fusil - oui, elle a retrouvé l’expression - et il dort comme il dormirait chez eux, dans sa chambre. Sauf qu’ici rien ne les sépare, qu’il n’y a ni porte ni verrou, ni couloir ni appartement pour créer des séparations. Ici, elle peut regarder son fils et s’étonner de le voir si proche d’elle, allongé sur une serviette, laissant sa peau nue - et elle se demande depuis combien de temps elle ne l’a pas vu ainsi, lui qui a tellement changé mais dont l’enfance se retrouve pourtant entièrement en lui, sous les apparences d’un corps qui s’est développé en restant pourtant autre chose que le corps d’un homme » — P141.

Esmerah
8
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le 22 janv. 2017

Critique lue 303 fois

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