Witty, adjectif anglais, difficile à traduire en français, me semble le meilleur moyen de définir les Cosmicomics, recueil de récits brefs à l'image de Palomar ou, moins directement, des Villes invisibles. Par son alliance de l'humour et du lyrisme, de la connaissance et du jeu, Calvino ébauche des œuvres pleines d'esprit, de légèreté autant que de justesse, spirituels sans être jamais pompeuses. Bref, de petits bijoux qui ravivent la flamme de ces jours gris.


Les récits des Cosmicomics sont portés par Qfwfq, un personnage vieux comme l'univers qui, de la création de la matière à l'extinction des dinosaures, a tout vécu. Qfwfq prend chaque fois appui sur une brève note placée en début de chapitre pour nous dévoiler les mystères de l'histoire et des principes de l'astrophysique : de la théorie de Darwin sur la lune à celle de Kuiper sur la matière, en passant par les calculs d'Edwin P. Hubble sur la vitesse d'éloigement des galaxies, l'apparition de l'atmosphère ou la disparition des dinosaures pendant le Carobnifère, avec Qfwfq vous saurez tout sur l'univers.


Avec un perspectivisme cosmique qui m'a rappelé le Microméga voltairien - " cette fois-là je la vis, mais tellement plus haute, et limitée de façon tellement étroite par ses contours de côtes, écueils et promontoires, combien petites paraissaient les barques, et indentifiables les visages de nos compagnons, et bien faibles leurs cris ! " - et le lyrisme mélancolique du Kublai Khan des Villes invisibles, Calvino nous propose une vision alternative de la création et de l'essor de l'univers.


Quand ce n'est pas le jeu qui donne naissance à la matière, c'est l'amour, celui d'une madame Ph(i)Nko pour des voisins gourmands, qui donne naissance à l'espace (l'espace en tant qu'espace pas en tant que cosmos) - " Mes garçons, quelles tagliatelles, je vous ferais manger ! " un véritable élan d'amour général, donnant au même instant naissance au concept d'espace, et à l'espace proprement dit, et au temps, et à la gravitation universelle, et à l'univers gravitant, rendant possibles des milliards de soleils, de planètes, de champs de blé ; et de madame Ph(i)Nk0 dispersées à travers les continents des planètes, et qui pétrissent la pâte de leurs bras huilés, généreux et enfarinés, tandis qu'elle depuis ce moment-là est perdue, et que nous la regrettons ".


Tout y est tendre et drôle et le traitement des personnages oscille sans cesse entre ces deux pôles (je pense notamment à ce vieil oncle aquatique, sorte de Bartleby du Carbonifère). Tout y résonne bien sûr avec notre modernité, finalement pas si éloignée des préoccupations du Paléozoïque - Voltaire, encore…


On y trouvera la même densité sémantique que chez Borges - densité qui suscite toujours mon admiration, moi qui parle toujours trop pour ne rien dire - avec un côté plus scientifique et moins métaphysique : on y jouera avec les lois de la physique et non avec des principes et théories philosophiques. On y rira peut-être plus et pensera peut-être moins, mais sera face à la même qualité : des récits qui vont à l'essentiel en considérant toujours que digresser et s'amuser font bien sûr partie de l'essentialité !

CameEleon
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le 10 déc. 2020

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