Ce livre avait tout pour me plaire : de la science, de la linguistique, des personnages profonds, un double point de vue. Forcément, je suis tombé.e sous le charme.
Le prétexte du voyage spatial est intéressant : on ne sait pas exactement ce qui s'est passé sur Terre, mais on n'a pas trop de mal à l'imaginer. Je n'étais pas convaincu.e par ces histoires de grandes organisation persuadées que la place de l'homme n'est pas dans l'espace, mais il fallait bien une raison pour faire rater l'expérience de Kern.
Avrana Kern est le premier personnage principale - ou plutôt la première. C'est agréable d'avoir un personnage féminin dans le rôle du docteur fou, extrêmement bien réalisé avec son obsession pour les singes et son vocabulaire en réaction (et encore, la traduction rate sans doute beaucoup de jeux de mots).
Puis on fait la connaissance de Portia première du nom, et je n'ai pas saisi tout de suite l'importance de ce chapitre. Rapidement pourtant, je me suis attaché.e à cette araignée.
Enfin, nous rencontrons le troisième personnage principal, Holsten. Premier détail, je pensais que ce nom était un nom anglais peu connu - il ne l'est pas, comme tous les autres du roman. Et ça, c'est une preuve du perfectionnisme de Tchaikovsky : pourquoi dans le futur, les noms seraient les mêmes qu'à notre époque ? Holsten est attachant aussi à sa manière, son histoire avec Lain est parfaitement dosée, ses émotions sont logiques. Il fait un bon troisième narrateur.
Mais finalement, on se rend compte qu'Holsten, pas plus que Kern, pas plus que Portia, n'est réellement le personnage principal. En fait, si ces trois personnages sont plutôt des narrateurs, ils ne sont pas plus principaux que Lain, Bianca, ou même Fabian et les autres membres de l'équipe d'experts.
Et là, on se rend compte avec plaisir d'une chose : il y a autant de personnages féminins que masculins. Pour avoir lu un certain nombre de livres de science fiction (ou même de livres en général), c'est rare d'avoir une histoire qui ne soit pas rempli de scientifiques hommes, ou même de femmes un tant soit peu développées. On a l'impression que finalement, après des siècles voire des millénaires d'existence, l'espèce humaine a enfin réussi à mettre homme et femme sur un pied d'égalité. Et ça, venant d'un auteur masculin, c'est extrêmement satisfaisant.
Cependant, l'égalité n'est pas de mise partout. Chez les araignées, les femelles considèrent les mâles comme inférieurs, les dévorent parfois, et un mâle scientifique ou prêtre est inconcevable. Et pourtant, Fabian va se battre. Au delà de cette inversion des genres, ce qui rend le discours intéressant, c'est qu'il est subtil. Il n'y a pas vraiment de grand discours ou de grande révélation qui rend mâles et femelles égaux, il n'y a qu'une lutte longue, compliquée, et un état d'esprit qui reste ancré (la première Portia spatiale a encore peur pour Fabian parce qu'il lui semble fragile) mais qui change peu à peu (les mâles qui peuvent devenir scientifiques, jusqu'au dernier Fabian, gardien de la Messagère).
Chaque personnage a son propre caractère, sa propre vision du monde. Même les différentes Portia et Bianca, basées sur le même modèle, ont chacune leurs spécificité. Ce qui est appréciable aussi, ce sont les différences de vocabulaire utilisées par chaque civilisation, les différentes technologies, les différentes croyances ... Au delà du féminisme, que j'ai déjà abordé, ce livre aborde la vie extra-terrestre, la foi, la technologie, la préservation de notre planète ... Et le fait que tant de problématiques soient abordées (et bien abordées !), ça rend le récit encore plus immersif et intéressant. On n'a pas l'impression de lire un énième livre à propos d'aliens anthropomorphes agressifs, mais d'une réflexion qui s'appuie sur de la science fiction pour prendre forme.
Le récit est structuré comme il faut : l'histoire avance, mais on en apprend juste assez pour découvrir l'univers futuriste. Les destinées se croisent, les siècles passent, chacun fait ses erreurs et apprend de ses leçons.
Et puis, la fin est logique. Les araignées ne sont pas des humains (ni des singes), et c'est ce qui fait que leur façon de penser est si différente, si difficilement approchée par Kern. Finalement, si les araignées n'étaient pas infectées par ce virus qui les pousse à faire société, si elles n'avaient pas compris que la coopération est une meilleure solution que l'annihilation lors de la guerre des fourmis, l'humanité ne serait plus. En plus de nous fournir un happy end bien ficelé, c'est un beau message que nous offre Tchaikovsky.