Pour les amérindiens, l'Orenda est la force vitale, l'âme en quelque sorte, en communion avec la nature, dans une vision panthéiste de l'univers, et empreinte de magie. Tout l'inverse de la religion catholique qu'incarnaient ces jésuites européens, affublés du surnom évocateur de corbeaux et qui n'avaient de cesse que d'essayer de convertir ces "sauvages" aux rites barbares et païens, du moins à leurs yeux. C'est ce choc de deux conceptions de la vie et des croyances qu'orchestre Joseph Boyden avec Dans le grand cercle du monde, dans un climat pré-apocalyptique au milieu du Canada du XVIIe siècle. Un roman à trois voix : celle d'un corbeau, justement, d'un chef huron et d'une prisonnière iroquoise. Et passent les saisons rythmées par les rites, les tentatives d'évangélisation, les récoltes et, surtout, les affrontements entre hurons et iroquois. Si Boyden est toujours aussi ample dans ses descriptions, aussi prodigieusement dense dans son récit, il nous nourrit d'une profusion de détails lesquels ont certes valeur documentaire mais finissent par alourdir un livre qui approche les 600 pages. Il y aurait beaucoup à dire sur les trois personnages principaux, archétypaux et assez prévisibles somme toute dans leurs réactions. Ils se révèlent finalement moins intéressants et touchants que certains de leurs semblables, au profil plus original comme Petite oie ou le frère Isaac. Et puis, on ne peut passer sous silence les scènes de torture. Non qu'il soit question d'accuser l'auteur canadien d'en rajouter, elles sont criantes de vérité, mais leur répétition et leur atroce précision ne sont pas loin de provoquer un début de lassitude voire d'écoeurement si on a l'estomac fragile. Ne pas s'y tromper, Dans le grand cercle du monde est un roman impressionnant de maîtrise qui fourmille d'informations et confirme une aisance narrative qui ne se dément pas d'un livre à l'autre. Cela n'empêche pas d'émettre quelques bémols et de le trouver inférieur à La saison des âmes et Les saisons de la solitude.